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La panthère des neiges de Sylvain Tesson, Gallimard – Prix Renaudot 2019

Il s’agit presque d’une quête initiatique, le récit d’une aventure humaine et sauvage où bêtes et hommes se croisent et se respectent. L’odyssée de l’auteur à travers les hauts plateaux du Tibet, à l’affût de la mystérieuse et presque inaccessible panthère des neiges, résonne comme une réflexion philosophique sur notre rapport au monde. Parfois, des messages fusent, et j’ai particulièrement apprécié ceux destinés aux chasseurs… mais l’ensemble reste à mon sens une ode à la Terre, au vivant, à l’art aussi, qui permet de sublimer nos existences.

En fait, pour vous parler de ce livre, j’aurais simplement aimé vous en citer des passages tellement l’écriture est belle, envoutante et poétique… Allez, c’est ce que je vais faire 😉 attention morceaux choisis :

« À l’aube, une lame jaune soulevait la nuit et deux heures plus tard le soleil émiettait ses tâches sur les nappes de cailloux piquetées d’herbe. Le monde était l’éternité gelée. On aurait dit que les reliefs ne pourraient plus jamais s’effriter dans ces froidures. Mais soudain, l’immense désert que je croyais abandonné et que la lumière avait dévoilé se mouchetait de tâches noires : les bêtes. » 

« Par superstition, je ne parlais jamais de la panthère, elle surgirait quand les dieux – le nom poli du hasard – jugeraient l’instant propice. »

« L’homme des villes de l’Occident technologique s’était lui aussi domestiqué. Je pouvais le décrire, j’en étais le plus parfait représentant. Au chaud dans mon appartement, soumis à mes ambitions électroménagères et occupé à recharger mes écrans j’avais renoncé à la fureur de vivre. »

« Le jour se levait, allumant le poinçon des montagnes puis ruisselant sur les versants et finissant par ouvrir la vallée glaciaire, immense avenue que la neige ne venait jamais feutrer. Qu’une rafale se lève, l’air se chargeait d’une poussière irrespirable. Sur ces pentes de loess les troupeaux laissaient leurs pointillés d’empreintes. La haute couture du monde. »

« Pourquoi détruire une bête plus puissante, et mieux adaptée que soi ? Le chasseur fait coup double. Il détruit un être et tue en lui-même le dépit de n’être point aussi viril que le loup ou aussi découplé que l’antilope. Pan ! Le coup part. Enfin, dit la femme du chasseur. Il faut le comprendre le pauvre, il est injuste d’être bedonnant quand vaque autour de soi un peuple tendu comme l’arc. »

« L’affût était une prière. En regardant l’animal, on faisait comme les mystiques : on saluait le souvenir primal. L’art aussi servait à cela : recoller les débris de l’absolu. »

« Elle (la panthère) levait la tête, humait l’air. Elle portait l’héraldique du paysage tibétain. Son pelage, marqueterie d’or et de bronze, appartenait au jour, à la nuit, au ciel et à la terre. Elle avait pris les crêtes, les névés, les ombres de la gorge et le cristal du ciel, l’automne des versants et la neige éternelle, les épines des pentes et les buissons d’armoise, le secret des orages et des nuées d’argent, l’or des steppes et le linceul des glaces, l’agonie des mouflons et le sang des chamois. Elle vivait sous la toison du monde. Elle était habillée de représentations. La panthère, esprit des neiges, s’était vêtue avec la Terre. »

« Vénérer ce qui se tient devant nous. Ne rien attendre. Se souvenir beaucoup. Se garder des espérances, fumées au-dessus des ruines. Jouir de ce qui s’offre. Chercher les symboles et croire la poésie plus solide que la foi. Se contenter du monde. Lutter pour qu’il demeure… Les champions de l’espérance appellent « résignation » notre consentement. Ils se trompent. C’est l’amour. »

 

…C’est beau, n’est-ce pas?…

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