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Duchesse, mais pas trop de Léna Forestier

Une romance historique assez courte, centrée autour de l’émancipation des femmes en Angleterre.

Nous sommes en 1862 à Londres, Pénélope Irvine participe à une manifestation pour le droit de vote des minorités, lorsqu’elle est accusée à tort d’avoir blessé à la tête par un jet de pierre Terence Macfarlane, un Lord écossais, juste avant que celui-ci ne soit appelé en urgence dans son domaine des Highlands, pour le décès de son frère.

N’ayant pas eu le temps d’innocenter la jeune femme, celle-ci se retrouve au poste de police, provoquant la colère de ses parents, qui la ramènent alors au bercail dans le but de lui trouver un prétendant lors de la saison des bals qui s’annonce.

Révoltée, Pénélope en veut à ce Lord inconnu, cause de son malheur, jusqu’à ce qu’elle apprenne à le connaître, et se rende compte de ses idées progressistes.

Une romance classique, au dénouement attendu.

Mes livres

L’arbre de Rose

🌟 Mon interview pour KOBO WRITING LIFE à l’occasion de la sortie 🌟



EXTRAIT (5 chapitres)

1

Je m’appelle Rose Martin. Mon prénom m’a valu quelques moqueries durant mes études, lesquelles furent par ailleurs assez courtes, car je n’aimais pas rester assise de longues heures derrière un bureau. Quoi qu’il en soit, porter un nom de fleur lorsqu’on étudie la nature, ça en a amusé plus d’un.

Je m’en fichais, j’ai appris très tôt à braver l’opinion des autres. Mes parents m’ont élevée comme ça. Ils n’étaient pas spécialement contestataires mais ils avaient à la fois des pensées bien arrêtées sur ce qui leur semblait juste, et le courage de leurs convictions.

J’étais leur fille unique, je les aimais profondément et la vie qu’ils me proposaient me convenait. Et puis surtout, ils me faisaient confiance. Je crois que ce fut leur plus grand cadeau.

Ma mère est morte d’une leucémie il y a cinq ans. J’en avais vingt. Mon père et moi avons fait bloc plus que jamais contre le reste du monde, c’est-à-dire essentiellement le hameau où l’on vit et que je n’ai jamais vraiment quitté.

— Rose, tu es là ?

L’unique personne susceptible de s’aventurer jusque chez moi à cette heure-ci ne peut être que lui. Il est également le seul que je n’entende pas arriver à des kilomètres à la ronde.

— Papa, qu’est-ce qui t’amène ?

June l’accueille d’un hennissement satisfait. Elle adore mon père et le lui fait savoir à grands hochements de tête jusqu’à ce qu’il tende vers elle sa main ouverte sur un morceau de pain sec ou une demi-carotte oubliée au fond de ses poches.

Elle s’approche de lui en crabe, les yeux séducteurs. Il fouille un moment dans sa vareuse avant d’en sortir un trognon de pomme. June s’ébroue. Elle avance ses babines douces et veloutées vers la paume de mon père et saisit le mets de choix avec sa langue moelleuse. Mon père s’essuie les mains sur son pantalon et caresse le museau de June qui appuie un court instant son front contre son épaule en guise de remerciement.

Les poings sur les hanches, j’attends qu’il se tourne vers moi tandis que ma jument retourne à ses occupations.

— Salut ma fille.

— Je te sers un café ?

— Pas de refus.

Les rayons rasants du soleil levant éclairent la brume tout autour de ma maison et donnent aux sous-bois un aspect fantastique. Je suis fan de ces aurores lumineuses et ouatées. On se croirait au commencement du monde.

Mon père entre et s’assied à sa place, face à la fenêtre. Il lisse du plat de la main ma vieille toile cirée. Elvis remue la queue depuis son panier, lui aussi quémande l’attention de mon père, mais il patiente.

Il règne une lumière douce dans ma petite cuisine, je bâille en allumant le gaz sous la cafetière italienne qui a dû voir la guerre tant elle est terne et cabossée.

Nous laissons les bruits de la forêt saturer l’espace de ses chants et de ses craquements que nous percevons mieux que quiconque. Mon inconscient reconnaît chacun des cris, mélodies, bourdonnements et autres sifflements émis par la faune et la flore environnantes. Je suis née dans cette forêt et j’y mourrai probablement ; roitelets, bécassines, rousserolles, pics noirs et sarcelles ne chantent que pour moi.

Mon père s’éclaircit la gorge.

— Tu sais que le fils Faure est revenu de Paris ?

— Ouais.

— Il a pris l’accent pointu, je me demande ce que ça va donner avec son père.

Le café bouillant répand son arôme chaleureux autour de nous lorsque je le verse dans nos tasses. Serré et sans sucre pour nous deux, il me brûle le palais mais je ne l’aime que comme ça, presque agressif.

Elvis se met à couiner. D’un geste du menton, je l’autorise à sortir.

Je lape une deuxième gorgée aussi amère que la première et grommelle à l’intention de mon père.

— Les Faure sont le cadet de mes soucis.

— Tu devrais peut-être t’intéresser un peu plus à ce qui se passe au village ces temps-ci. Ça ragote pas mal.

— À quel sujet ?

— J’ai l’impression qu’ils trament un truc.

— Joseph Faure trame toujours des trucs. On est bien placés pour le savoir.

Mon père ôte sa veste. Malgré l’heure matinale, la température estivale commence déjà à prendre le pas sur la fraîcheur de la nuit.

— Tiens, goûte-moi ça. Je les ai ramassées hier soir.

Je pose sur la table un bol rempli de framboises joufflues. Nous les dégustons quelques instants en silence, puis mon père revient à l’assaut. La ride verticale qui barre son front signe une préoccupation qui n’a rien de passager.

— Tu as tort de considérer tout ça à la légère. Joseph est à la mairie maintenant, il peut te nuire plus que tu ne l’imagines.

— Papa, tu as vraiment débarqué à l’aube pour me parler de Faure ?

— J’ai pas dormi de la nuit.

— Vu ta tête, ça ne m’étonne pas. Arrête de te faire du souci pour moi, je suis une grande fille, je sais ce que j’ai à faire.

— J’ai pas dit le contraire. Mais je sens bien que les gens causent, hier au marché même, la Sylvie m’a regardé d’un drôle d’air. Je suis parti.

— Et mon Saint-Nectaire alors ?

Mon père ouvre les bras, la mine désolée. Plus il vieillit, plus il a du mal à s’affranchir du regard d’autrui. La mort de ma mère l’a affaibli de ce point de vue là, c’était elle la forte tête, elle qui défendait vent debout ses convictions et fustigeait les faux culs. C’est son exemple que j’essaie de suivre en tentant ce matin de rassurer mon père.

— T’inquiète pas, je m’en fiche, du fromage, je n’ai qu’à me pencher pour trouver à manger ici, tu le sais. Faure ne me fait pas peur, son fils non plus.

— Tu ne te souviens pas de lui ? Vous étiez amis à l’école, ta mère l’invitait en douce à venir prendre le goûter à la maison.

— Bien sûr que si. Mais le mec qui débarque de Paris n’a plus l’air d’avoir grand-chose à voir avec le petit Max d’antan. J’aime autant garder intactes les images de mon passé.

— Pas faux. C’était un bon gamin pourtant à l’époque. Il soûlait ta mère pour qu’elle lui apprenne le secret de ses potions, tu te rappelles ?

Je laisse mon regard errer sur les étagères murales, à la recherche des cahiers de maman, ceux où elle notait de son écriture large et ronde ses trouvailles et les recettes de ses breuvages magiques, comme elle les appelait.

Ma mère avait la passion des plantes et des animaux. « Une vraie sorcière », la taquinait mon père, tout en reconnaissant que ses diverses décoctions et cataplasmes le soulageaient plus efficacement que n’importe quel remède du pharmacien.

Il l’adorait. Leur amour aurait pu être gênant s’ils m’en avaient exclue, mais ma mère essayait toujours de me faire partager leur complicité. Elle insistait sur ce lien spécial qui nous unissait ; dans ses yeux, je me sentais forte, belle et unique. Durant toute mon enfance, elle a été mon univers, l’ombre et la lumière de ma vie.

Elle m’a tout appris.

2

J’ai passé mon concours de garde forestier l’année de la récidive du cancer de ma mère. Je n’en éprouvais pas spécialement le besoin, mais l’inquiétude que je lisais dans ses yeux m’a poussée à concrétiser une forme d’assurance pour l’avenir qui la tranquillisait.

Son soulagement lorsque je lui ai annoncé à la fois ma réussite et ma nomination au cœur de la forêt de Tronçais, autrement dit notre forêt, a fini par me convaincre. J’avais fait le bon choix.

Je suis garde forestière à cheval. La densité de mon secteur rend impossible le patrouillage en véhicule motorisé, et puis je n’imagine pas me déplacer autrement que sur le dos de June, ma précieuse compagne qui sait être aussi silencieuse que moi lorsqu’il le faut.

Mis à part les braconniers que je traque impitoyablement ou bien les cinglés qui oublient leurs mégots dans la forêt, je fais assez peu de répression.

Les promeneurs que je croise sur mes terres sont en général respectueux et friands d’anecdotes sur les animaux qu’ils sont susceptibles de rencontrer, ou bien ils me questionnent sur les arbres exceptionnels qui les entourent, ceux qu’il faut voir. On les appelle les arbres remarquables, et ils le sont effectivement, de par leur taille, leur âge ou encore leur forme improbable. Je sais où se trouve chacun d’entre eux dans mon périmètre, et je veille à leur équilibre, comme à celui de tous les autres, même les plus jeunes, même ceux qui semblent sur le point de mourir mais qui repartent d’année en année, le cœur vaillant.

Les habitants d’ici ne me comprennent pas. Pour eux, je suis la sauvageonne de la forêt qui vit seule avec ses animaux dans sa cabane en bois. Ma vie les intrigue. Ils m’ont vue grandir pourtant, à Creilloux-le-Haut, tout le monde se connaît depuis plusieurs générations.

Certes, je n’étais pas obligée de m’installer si profondément dans la forêt, j’aurais pu rester en lisière, comme la plupart de mes collègues. Mais j’aime ces bois que je connais par cœur, je les ai tant arpentés avec ma mère quand j’étais petite ! Elle m’a initiée aux secrets de la forêt, à tous ces signes invisibles pour le commun des mortels ; grâce à elle, mon sixième sens fonctionne à merveille.

Un jour, je devais avoir trois ou quatre ans, nous nous étions aventurées un peu plus loin que d’ordinaire et je percevais l’inquiétude de ma mère au fur et à mesure que nous progressions dans les fourrés. Je ressentais autant qu’elle les vibrations électriques de l’air annonçant l’orage, les bourrasques légères qui agitaient les houppiers, et je humais le vent comme un chiot en détresse. Ma mère m’a souvent raconté cette anecdote, elle était admirative de l’instinct primaire dont je faisais preuve à mon insu en situation délicate. C’est moi, ce jour-là, qui avais décidé de rentrer, et je ne me suis pas trompée une seule fois sur le chemin du retour.

Mes repères inconscients fonctionnent toujours. Je capte mieux que quiconque les indices que m’envoie l’environnement dans lequel je vis. Je n’ai pas peur de vivre isolée dans la forêt. Au contraire, je m’y sens protégée.

Ce n’était pas le cas lorsque je devais fréquenter mes semblables. Hormis mon amitié passagère et secrète avec Max Faure, je n’ai pas eu beaucoup d’amis durant mon enfance. Ma famille n’était pas aimée dans le village. Les mères de mes copines me regardaient de travers à la sortie de l’école, et invariablement je finissais par me retrouver esseulée.

Mes années de collège ont été grises, je m’ennuyais comme un rat mort et m’étiolais dans les salles de classe surchauffées sous de tristes néons.

Ce fut mieux par la suite, grâce à mon intégration dans un lycée agricole loin de chez moi, qui privilégiait les activités de plein air et recrutait des élèves qui me ressemblaient davantage. J’ai cependant détesté l’internat. Réglée sur le tard, je ne comprenais pas l’hystérie des filles à propos des mecs et j’écoutais avec un vague dégoût leurs histoires de roulages de pelles qui me laissaient perplexe.

Et puis l’été de mes seize ans, j’ai couché pour la première fois avec un garçon. Par curiosité, pour assouvir les élans inconnus que je ressentais dans le bas de mon ventre. Je scrutais les accouplements des animaux, j’avais chaud, je transpirais, j’éprouvais un désir brut et sans objet que je ne savais pas nommer, jusqu’à ce que je croise Peter.

C’était un Anglais d’une vingtaine d’années qui venait faire les saisons par ici. Il ne parlait pas un mot de français et ça m’arrangeait. Je le trouvais charmant malgré son allure dégingandée et ses yeux rapprochés. Mon imagination se nourrissait de sa nonchalance, et la vision de son torse imberbe couvert de sueur lorsqu’il maniait le sécateur exacerbait mon attirance. Je désirais qu’il lâche son panier et qu’il me couche entre les plants, à même la terre.

C’est ce qu’il a fini par faire à force de croiser mes œillades langoureuses et maladroites. Par une fin d’après-midi moite et orageuse, il m’a souri longuement, sans quitter mon regard. J’étais dans la rangée d’en face. Mon corps s’est embrasé. Une fois nos lourds cabas déposés, nous avons bifurqué vers la vigne au lieu de prendre le chemin du retour. Sans un mot, Peter a saisi ma main et l’a pressée contre la sienne. Je flottais. L’horizon sombre et parsemé de lueurs électriques ne nous inquiétait pas. Seuls comptaient ce moment et l’apaisement de la tension qui nous habitait.

Allongés l’un près de l’autre, nos yeux parlaient à notre place. Peter murmurait des mots en anglais, je respirais fort. La terre était chaude et accueillante, l’odeur des cépages entêtante ; j’étais prête.

J’ai ôté mon tee-shirt et mon soutien-gorge, j’aimai l’avidité que ce geste déclencha chez mon jeune amant. Il s’empara de mes seins avant de caresser mes hanches. J’ai décidé d’ouvrir mes jambes et de le laisser venir. Il n’a pas eu de difficulté à s’introduire en moi, je l’encourageais malgré mon inquiétude grandissante. Jusqu’où allait-il donc aller ?

Lorsqu’un peu de mon sang s’est mêlé à l’argile du sol, Peter s’est crispé et a poussé un cri rauque. J’ai pensé au brame du cerf. Je n’ai pas eu très mal, mais le plaisir que j’espérais en retirer n’était pas au rendez-vous. Néanmoins, je n’étais plus vierge et je me sentais au moins satisfaite de savoir à quoi ressemblait le sexe d’un garçon en érection.

« Are you okay? » sont les seuls mots de Peter que j’ai cru comprendre une fois l’acte accompli. À partir de ce jour-là, il m’est apparu comme beaucoup moins désirable qu’auparavant ; j’ai repoussé toutes ses avances.

Il est reparti en Angleterre et je ne l’ai jamais revu.

Après cette expérience en demi-teinte, les années suivantes, j’ai eu quelques aventures avec des saisonniers, les garçons de Creilloux ne m’intéressant pas.

Et puis je suis tombée amoureuse. Pour la première fois de ma vie, j’aimais passer du temps avec quelqu’un. Il parlait peu, respectait mon besoin de silence. Je le trouvais si beau.

Nous avions le même âge, un respect pour la nature identique et tous deux la nécessité d’une vie au grand air, mais nos préoccupations réciproques étaient différentes.

Ma mère était en train de mourir, et mon amour naissant pour Yan s’est éteint avec elle.

Je n’étais plus capable d’aimer qui que ce soit.

3

— Elvis, couché !

Ses poils sont hérissés en crête sur le haut de sa colonne vertébrale. Je pose ma main sur son poitrail pour l’apaiser. J’ai senti avant lui la présence étrangère qui le fait grogner.

Son café et quelques framboises avalés, mon père est reparti comme il était arrivé. Frankie l’a suivi un moment et puis a rebroussé chemin ; son périmètre de sécurité ne s’étend pas très loin. Lorsque je l’ai recueilli, il était si petit que je devais le nourrir au doigt, je trempais mon index dans du lait avant de l’introduire entre ses gencives rose pâle. Il tétait si avidement que je n’ai pas douté longtemps de sa capacité à survivre.

Nous étions tous deux orphelins. Je venais de perdre ma mère et la sienne avait été tuée par des chasseurs les jours précédant ma trouvaille. Il était sorti du terrier dans lequel ses frères et sœurs étaient tous morts et geignait près d’une souche au creux de laquelle il avait pu boire un peu d’eau stagnante. C’est un miracle qu’il ne se soit pas fait dévorer par un blaireau ou emporter par un rapace.

Ce jour-là, j’étais censée reprendre le travail et j’arpentais les bois comme une âme en peine sur le dos de June. Le printemps explosait et je ne comprenais pas comment la forêt pouvait être aussi belle et foisonnante alors que ma mère n’était plus.

De grosses larmes brouillaient ma vue tandis que je laissais ma jument m’emmener là où elle le voulait. C’est elle qui m’a conduite jusqu’à ce renardeau en détresse, elle s’est arrêtée non loin de la souche et a tendu le cou vers lui. Je ne l’ai pas vu tout de suite, mais je percevais une présence malgré mes sens perturbés par ce chagrin envahissant.

J’ai frotté mes yeux d’un revers de manche et suis descendue du dos de June. Je l’ai immédiatement aperçu, aplati entre les herbes folles, ses deux minuscules oreilles dressées vers le ciel. Il était si faible qu’il n’a pas bronché lorsque je l’ai enveloppé dans mon foulard et calé entre mes jambes, contre le pommeau de la selle. Quand il a grandi, je lui ai noué ce foulard bleu autour du cou pour que les gens sachent qu’il s’agissait d’un animal apprivoisé, ma plus grande peur étant qu’un chasseur du dimanche le tue d’un coup de fusil s’il s’aventurait hors de mon secteur. Mais Frankie est un peureux. Je me moque de lui et il glapit comme s’il riait avec moi.

Il a trouvé une seconde mère en Elvis, pourtant rien ne prédestinait mon berger allemand à un tel rôle ! Mais mon gros chien solitaire s’est pris d’affection pour ce petit trouillard et il est rare aujourd’hui de les voir l’un sans l’autre. « Tu aurais dû les appeler Rox et Rouky », rigole mon père.

N’empêche, à nous quatre, on forme une famille.

Elvis s’apaise au contact de ma main mais ses babines restent retroussées sur ses gencives et sa gorge frémit d’un grondement difficilement contenu.

Le manque de discrétion de l’intrus est tel que j’imagine voir surgir au moins trois ou quatre personnes derrière les fougères qui s’agitent.

Je m’installe plus confortablement dans mon transat et j’attends. C’est l’heure de ma pause déjeuner, je ne vois pas pourquoi je monterais au créneau, les gens ont le droit de se balader librement, même s’il est rare qu’ils s’aventurent jusqu’ici. J’ai fait exprès de construire ma cabane à un endroit difficilement accessible pour qui ne connaît pas parfaitement les lieux. Aucun chemin n’y mène directement et sa présence se fond dans la végétation, on la découvre au dernier moment, par hasard.

— Mais c’est pas vrai !

Le son de cette voix masculine est la goutte de trop pour Elvis, qui se met à aboyer comme un fou. Frankie s’est réfugié depuis longtemps derrière la maison, dans le trou aménagé qui lui sert de terrier. June broute dans son coin, impassible.

Les aboiements ont un effet immédiat sur l’homme qui semble s’être statufié derrière les arbres. Je ne vois plus la moindre feuille trembler. Je choisis de ne pas lui faciliter la tâche pour autant, après tout, c’est lui qui m’envahit.

Depuis qu’il est là, les oiseaux se sont tus et les petits bruits habituels qui me bercent ont cessé. Visiblement, cette intrusion ne dérange pas que moi.

J’attends que l’inconnu se décide à émerger des fourrés et j’étends mes jambes devant moi. Il fait doux sous mes chênes noirs. J’ai beau faire comme si de rien n’était, je sens monter un profond agacement face à cet importun. Je le vois nettement avant qu’il ne détecte ma présence. De loin, son visage m’est vaguement familier. Il semble avoir mon âge et n’a pas l’air du tout à sa place au sein de ma forêt.

Ici, je suis au bout du monde, au creux de mon refuge ultime. C’est moi qui prends l’initiative d’aller vers les autres, pas l’inverse. Mon père fait partie de mon univers, il est l’unique personne dont les visites impromptues ne me dérangent pas.

Ma ligne de téléphone est fréquemment coupée à cause des intempéries et j’ai dû me fabriquer un générateur autonome d’électricité pour éviter de me retrouver éclairée à la bougie au moindre coup de vent. C’est spartiate, mais je m’en sors. Je n’ai pas de gros besoins. Je récupère mon courrier en poste restante, à l’ancienne, et je me fais régulièrement engueuler par mon père qui se demande si, en 1987, sa fille n’est pas l’unique représentante de sa génération à ne pas avoir un téléphone digne de ce nom. J’ai bien un talkie-walkie, mais en forêt, sa portée n’excède pas cinq cents mètres.

Je crois que c’est pour ça qu’il vient si souvent me voir, il s’inquiète de me savoir seule et sans possibilité d’appeler à l’aide en cas de besoin.

Comment lui faire comprendre que je suis en parfaite sécurité ici, bien plus que je ne le serais si je vivais dans un quartier surpeuplé où les gens se cloisonnent et s’épient sans la moindre bienveillance ? J’ai vu ce que ça donnait au lycée, la solidarité. Tu parles, c’était chacun pour soi et le règne de l’hypocrisie. Je ne sais pas vivre comme ça. Et puis les grandes villes me donnent l’impression d’étouffer.

Tout comme pour ma mère avant moi, les plantes et les animaux me semblent plus lisibles et plus fiables que les êtres humains.

Le jeune homme porte des baskets blanches fraîchement maculées de boue et une casquette qui gêne son champ de vision. Je suis certaine que son petit sac à dos contient une gourde d’eau, des barres de céréales et un paquet de mouchoirs jetables ; le bon vieux cliché du randonneur. Ses yeux errent quelques secondes avant de se poser sur le toit de ma cabane, puis redescendent vers moi. Il me fixe d’une mine abrutie.

— Vous pourriez attacher votre chien ?

— Non.

— OK.

On s’observe en silence un instant. Il reprend :

— Il a l’air franchement énervé, vous êtes sûre qu’il ne va pas me sauter dessus ?

— Ça dépend.

— Quoi ?

— J’ai dit ça dépend.

— C’est bon, j’ai entendu. Ça dépend de quoi ?

— De votre attitude. Si vous avez peur de lui, il va le sentir.

— Mais j’ai peur de lui !

— Ben, faut pas.

Il reste à distance. On est obligés de parler fort pour se comprendre, je lui fais signe de s’approcher avec la main.

Il hésite, se gratte la joue.

Je finis par m’extraire de mon transat, Elvis aboie de plus belle.

— Vous voyez, il veut me bouffer ! Attachez-le !

Je saisis mon chien par son collier et me rapproche de l’homme au fur et à mesure qu’il recule.

— Vous êtes cinglée !

Il pivote sur ses talons et s’enfuit en courant en se prenant les pieds dans les racines des arbres.

Je pouffe de rire, non mais quel bouffon !

Effectivement, le petit Max Faure a bien changé.

4

— Et tu dis qu’il ne t’a pas reconnue ?

C’est la troisième fois que mon père me pose la question. Je lève les yeux au ciel. Comme hier, il s’est pointé à l’aube avec ses cernes mauves et son inquiétude en bandoulière.

Elvis vient se coucher à ses pieds, il lui gratte distraitement l’arrière des oreilles tout en attendant ma confirmation.

— Franchement, papa, ça fait des années qu’on ne s’était pas vus. J’ai eu un doute à cause de sa casquette qui lui cachait le visage, mais c’est seulement quand il a parlé que je l’ai vraiment remis. C’est bien possible que lui ne m’ait pas reconnue.

— Qu’est-ce qu’il est venu faire jusqu’ici, bon sang ?

— Il avait l’air complètement paumé. Je crois qu’il ne savait pas du tout qu’il risquait de tomber sur moi.

— Allons donc ! Son père ne lui aurait pas dit que tu vivais dans la forêt ?

— Aucune idée et je m’en contrefiche. Pourquoi est-ce que tu leur accordes autant d’importance ? Le fils Faure est revenu au pays et il reprend ses marques, voilà ! Pas de quoi en faire un fromage.

Mon père se rembrunit. Je lui ressers une tasse de café et nous buvons en silence. On entend par la fenêtre entrouverte les protestations indignées d’un couple de geais ; sûrement qu’une martre tente une approche pour gober leurs œufs.

— Quel est ton programme aujourd’hui ?

Il change de tactique pour m’amadouer. Les ficelles sont grosses, mais je lui laisse croire qu’elles fonctionnent. Je lui souris.

— Je dois finir mon rapport d’intervention sur l’état des cours d’eau. Il a bien plu ces dernières semaines, je ne suis pas inquiète. Mais j’en ai encore un à examiner, je vais y aller avec June ce matin, il est loin et je voudrais rentrer avant que les températures montent.

— Sous les arbres, il fait frais. Si tu voyais la chaleur en ville…

— Tu ne m’as pas dit que tu étais monté à Clermont.

— Oh, j’avais un truc à vérifier.

Il regarde ses mains, son regard dévie sur la gauche. Mon père est tellement transparent, je ne connais personne de plus authentique que lui. Il est incapable de mentir.

— Papa, crache le morceau.

— Quoi ?

— Qu’est-ce que tu es allé faire en ville ?

— J’avais pris rendez-vous avec quelqu’un de la préfecture, si tu veux savoir.

— Mais pourquoi ?

— Pour vérifier quels sont nos droits. Tu as beau faire comme si tu t’en fichais, si Faure décide d’aller au bout de son projet, on sera dans de beaux draps !

— Encore cette histoire de scierie ?

— Pardi ! J’ai appris avant-hier qu’il avait levé des fonds, il ne renoncera pas. Paraît qu’il s’est associé avec un industriel italien, ça sent mauvais pour nous, Rose, j’en dors plus.

Mon père transpire à grosses gouttes. Il s’agite sur sa chaise et lance des regards derrière lui comme si Max ou Joseph Faure risquaient de surgir d’un seul coup dans ma maison.

Ce projet me semble tellement énorme et ambitieux que je ne parviens pas à lui accorder l’importance qu’il mérite. C’est tout simplement inenvisageable pour moi.

Je ne suis pas naïve comme semble le croire mon père, je sais bien qu’une forêt telle que Tronçais est une mine d’or pour la production de bois. Mais je pense que seule l’exploitation en futaie irrégulière permet une gestion suffisamment douce pour respecter l’équilibre du vivant.

En ma qualité de garde forestière, je suis en première ligne pour faire appliquer ces principes. C’est moi qui repère les zones fragiles, les arbres malades ou, au contraire, en pleine expansion, la nécessité de coupes d’amélioration, le débardage pour évacuer ceux qui ont été abattus…

Je me bats pour préserver cet écosystème extraordinaire, pour éviter de trop brutales interventions humaines qui déstabiliseraient la température, l’humidité ou la luminosité des sous-bois.

La capacité de réaction des arbres est très lente, on doit en tenir compte. Les vieux hêtres et les grands chênes vivent jusqu’à quatre ou cinq cents ans. À côté d’eux, nous sommes aussi éphémères que des lucioles.

Je joue là-dessus pour étayer mes rapports. J’ai la chance de m’occuper d’une partie du Pays de Tronçais, classée forêt d’exception grâce à ses chênes remarquables ; même si elle fait l’objet d’une exploitation régulière, j’ai bon espoir de contenir la folie destructrice des hommes qui perdent la tête dès qu’il est question d’argent.

Certes, les arbres ne vivent pas à notre rythme, mais ils font leur maximum pour prospérer, ils s’entraident, ils communiquent et forment une communauté dont l’homme ferait bien de s’inspirer. Ils ont leurs propres règles, comme un code de bonne conduite qui leur permettrait de subsister un maximum de temps en bonne santé. Isolés de leurs semblables, ils ne feraient pas long feu.

Leurs racines sont même capables de contourner un obstacle, de changer de direction grâce à des signaux électriques. Pourquoi ne pas admettre qu’ils puissent avoir un système de transmission similaire à celui que l’on observe chez les animaux ? Il est juste moins visible à nos yeux, mais il existe.

Ma mère savait tout ça intuitivement, elle n’avait pas besoin de livres ni d’études scientifiques. Si j’ai mené ces recherches, c’est seulement pour clouer le bec aux sceptiques.

En vrai, moi aussi, je préfère me contenter de poser mes mains sur une écorce centenaire et de ressentir les vibrations du vivant. Quand je reste assez longtemps connectée, j’ai l’impression de faire partie d’un tout qui m’englobe. Mon cœur pulse plus lentement, mes pensées s’apaisent. Parfois même, à la saison douce, je m’endors au pied d’un chêne ; là non plus, je n’ai pas attendu que les spécialistes découvrent les vertus des molécules sécrétées par les arbres sur la régulation des systèmes nerveux et immunitaires pour y croire.

Je les vis.

C’est pour ça que je me bats pour la gestion durable des forêts. Pour éviter des souffrances inutiles à mes arbres, pour respecter leurs besoins spécifiques et leur laisser la possibilité de transmettre leurs connaissances aux générations suivantes.

Je n’ai pas l’impression de vouloir protéger une entité appelée nature qui serait extérieure à moi, supérieure ou inférieure. Je fais partie intégrante du système, ce sont mes semblables que je défends. Ma propre survie.

Et puis autre chose aussi, dont je n’ai pas le droit de parler.

5

Joseph Faure contemple son domaine, bien campé sur ses deux jambes. À l’approche de la cinquantaine, les longues marches à travers champs le vivifient. Son épagneul ne le lâche pas d’une semelle, sauf pour courir après des lièvres qui détalent devant lui la queue en l’air.

Il aime se promener à l’aube, surtout en plein mois de juillet. Ce moment où la brume s’estompe sous les premiers rayons du soleil est celui qu’il préfère à tous les autres. Et puis, mise à part cette satanée Rose Martin, à cette heure-ci, il ne risque pas de rencontrer qui que ce soit dans la forêt.

Il prend soin de ne jamais aller dans le coin de sa bicoque, pourtant voilà deux fois qu’il tombe par hasard sur cette maudite famille. Un coup le père, un coup la fille. Pas de bol. Il a fait semblant de ne pas les voir, contrairement à son imbécile de fils qui est carrément allé se fourrer chez la garde forestière.

Quand il lui a raconté l’anecdote, Max était vexé d’avoir dû fuir devant elle. Sa phobie des chiens ne s’est pas arrangée avec l’âge, ni son tempérament prudent à l’extrême. Joseph se demande encore comment il a pu engendrer un être aussi différent de lui. Passons.

Heureusement que sa fille lui ressemble un peu plus. Juliette est une travailleuse, elle aime la terre sur laquelle elle est née. Pas comme son fils parti étudier on ne sait quoi à Paris, tout ça pour quoi ? Revenir la queue entre les jambes, victime d’une rupture sentimentale dont il ne se remet pas.

À cette évocation, Joseph jure et crache par terre. Ça bouillonne en lui. Max lui renvoie en miroir toutes les luttes de sa vie, ce combat contre lui-même qu’il a fini par remporter. À quel prix.

Il lui en veut terriblement pour ça. Venir pleurer dans le giron de ses parents à vingt-trois ans passés lui semble inimaginable.

Depuis son arrivée, Viviane le couve comme s’il en avait huit. « Il a maigri, dit-elle, il est malheureux. » Tu parles ! S’il avait geint de cette manière quand il était jeune, son propre père l’aurait déshérité, roué de coups. Il ne supportait pas sa propre faiblesse ni celle des autres, encore moins peut-être chez ses proches. Le grand-père Faure était connu comme le loup blanc pour ses coups de rage terribles, son despotisme et son insensibilité.

Pourtant, lorsqu’il avait l’âge de Max, Joseph aurait eu plus de raisons que son fils de faire une dépression. Avant même de fêter ses vingt-quatre ans, il embarquait à Marseille, appelé du contingent pour aller combattre les fellaghas en Algérie. Il a vécu l’enfer là-bas. Cette expérience de la guerre a changé sa vie à jamais.

Le ciel des Aurès était semblable à celui-ci. D’un bleu insolent, pur. Le lever du soleil sur les montagnes était de toute beauté ; les sommets gris se teintaient de rose puis viraient à l’orange sous le feu ardent des rayons en pleine ascension. C’était à couper le souffle.

C’est son seul souvenir acceptable de là-bas. Tout le reste, la chaleur terrassante, la puanteur, la promiscuité, les patrouilles improvisées dans le désert, les paysans hostiles, la découverte de corps mutilés et cette peur incessante… tout ça forme un magma douloureux qu’il aurait aimé purger de sa mémoire.

Il n’oubliera jamais l’expédition punitive à laquelle il a participé juste avant de quitter Bordj-Mahmoud. Son chef de peloton avait retrouvé deux soldats derrière le camp, égorgés, le ventre rempli de cailloux puis grossièrement recousus, comme des oursons en paille que l’on aurait voulu bourrer pour s’amuser. Une fois l’alarme donnée, les hommes s’étaient laissé envahir par une rage animale. Se sentant à la merci des locaux qui agissaient dans l’ombre, vifs et agiles sur des terres qu’ils connaissaient mieux que leur poche, la troupe avait choisi l’offensive, tuant sans distinguer les hommes, les femmes et les enfants qui se trouvaient à leur portée.

Ça, ce sont de vrais traumatismes. De ceux qui marquent un homme à jamais.

Malgré tout, Joseph a continué de craindre le jugement de son père toute sa vie, jusqu’au jour de sa mort, et même au-delà.

N’empêche, on voit le résultat. Quand il regarde les bocages autour de lui, la propriété de la famille Faure s’étend à perte de vue. Entre l’exploitation des terres et les fermes alentour, Joseph amasse chaque année une petite fortune. Si le grand-père n’avait pas eu la dent aussi dure envers lui, peut-être bien que sa force de caractère n’aurait pas été la même. Son destin non plus.

Et puis ils ont fait de beaux mariages. À eux deux, les grands-parents Faure rassemblaient déjà presque la moitié des plus belles parcelles autour de Creilloux, et la famille de Viviane a permis à Joseph d’agrandir encore sa propriété. Non pas qu’il l’ait épousée uniquement pour ses terres, il l’aimait bien avec son air doux et sa façon de le contempler avec adoration. Elle l’apaisait.

Mais tout de même, pour être tout à fait honnête, si elle ne lui avait pas amené le gigantesque hameau de la Ribaudière en dot, il ne l’aurait même pas regardée.

Cela ne les empêche pas d’être heureux ensemble. Prévenant et attentif, Joseph veille au confort de Viviane, surtout maintenant qu’ils avancent en âge. Elle est si délicate. Tout l’inquiète, tout la préoccupe.

Depuis le retour de Max au domaine familial, elle dort mal. Constamment malade quand il était petit, leur fils a toujours monopolisé l’attention autour de lui. Dès sa naissance, il pleurait nuit et jour, accaparant sa femme en continu.

Juliette était bien plus robuste, encline à jouer dehors et à suivre son père partout. Elle voulait être fermière, comme elle disait, tandis que Max s’enfermait dans sa chambre avec ses bouquins.

Ils ne le voient pas beaucoup depuis qu’il est revenu. Il passe de longs moments en plein air à explorer les environs et rentre le soir, fourbu, parfois même allant se coucher sans rien avoir avalé. Viviane dépose alors devant sa porte un plateau garni de pain et de fromage, auquel il ne touche pas, mais qu’il rapporte consciencieusement le lendemain matin dans la cuisine.

Il ne se plaint pas, ne parle pas de ses projets. Joseph ronge son frein pour sa femme, se retenant de lui demander s’il pense prolonger ses vacances : à son âge, on ne vit pas aux crochets de ses parents.

À force de ruminer, Joseph atteint sans s’en rendre compte la parcelle qu’il convoite depuis la mort de son père, reprenant l’ultime combat de ce dernier.

Ils ont offert un pont d’or à Vincent Martin pour qu’il leur cède au moins le chemin d’accès entre les deux domaines. Cet enfoiré n’a jamais accepté de négocier, même pas une servitude de passage. À cause de son entêtement, il faut faire le tour complet de la propriété pour passer d’un champ à l’autre et, sans lien direct, ce bout de terre enclavé ne vaut pas grand-chose, alors que s’ils avaient pu l’exploiter, Joseph aurait eu un abord aisé à des dizaines d’hectares de forêt qui lui appartiennent depuis des années mais dont il ne peut rien faire en l’état.

Pour récolter le bois après l’abattage et la coupe, il faut des aires de dépôt pour l’entreposer et le façonner. Sans ça, impossible de mener une exploitation de grande ampleur. Il suffirait que Vincent Martin lui vende une partie de son terrain pour rendre les choses réalisables. Mais il s’obstine dans son refus, année après année.

Pourtant, elle n’est ni constructible ni exploitable. Elle ne vaut rien. S’il ne veut pas lui céder ce bout de terrain en friche depuis tout ce temps, c’est uniquement pour des raisons personnelles.

En désespoir de cause, Joseph lui a même proposé de l’associer financièrement à son projet, mais le bougre n’a jamais rien voulu savoir.

Le grand-père Faure affichait un profond mépris pour la famille Martin, qu’il traitait de bouseux, de rêveurs, tout juste bons à exploiter la parcelle de subsistance accordée aux retraités pour leurs besoins propres.

Vincent Martin n’a jamais su s’imposer. C’est un incapable, un faible. Il n’a pas encore compris à qui il avait affaire. Si le plan de Joseph fonctionne, ça va lui faire tout drôle. Il va regretter son entêtement.

Joseph le déteste, il l’a toujours détesté.

Surtout depuis son retour d’Algérie.


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Mes livres

Juste après l’orage


Dans Juste après l’orage, l’amour et l’amitié règnent en maîtres. Victoire Sentenac explore avec tendresse et lucidité les parcours de vie accidentés de ses personnages profondément humains, qui entre douleur et reconstruction, rires et larmes, transforment l’ombre en lumière au bout d’un long chemin.


Extrait (5 chapitres)

1

C’était une belle journée. Une journée sans nuages, une de celles qui vous font aimer la vie plus fort, plus intensément. Une journée qui aurait dû être parfaite.

Rêveuse, je contemplais la spatule de mon ski qui brillait au soleil. Je frottais doucement mes grosses chaussures l’une contre l’autre et tendais l’oreille vers mes voisins de télésiège. C’était un couple qui se querellait, mais comme ils parlaient en italien, je ne comprenais pas tout.

J’offris alors mon visage au soleil en fermant les yeux. Entre la douce morsure du froid et la caresse timide de ses pâles rayons, j’imaginais mon visage en train de brunir, l’éclat que j’aurais en rentrant chez moi et le contraste entre ma mine éclatante et les yeux cernés de mes collaborateurs. La compét’, toujours. Même au beau milieu de mes vacances, elle ne me lâchait pas.

Ma sœur Valentine me détestait quand nous étions petites. Elle finissait par refuser de jouer avec moi car je voulais toujours gagner, quitte à tricher, mentir, la faire pleurer. J’ai des souvenirs un peu honteux de cette époque où je profitais de sa faiblesse, néanmoins nous partagions aussi de grandes joies, et pour moi cela suffisait largement à compenser les peines. Tu m’écrasais, sourit-elle aujourd’hui devant les photos de famille sur lesquelles j’occupe invariablement le premier plan, où j’arbore le plus grand sourire, la pose la plus irrésistible, et le pire c’est que ça marchait ! Le charme opérait, mon père était en adoration devant moi, ma mère ne me refusait rien, j’étais la plus adorable des pestes avec l’assentiment de toute ma famille. Seule ma grand-mère n’était pas dupe. Elle était peut-être la seule à savoir réellement qui j’étais, qui je cachais derrière cette assurance folle.

Ma sœur l’a su aussi, mais bien plus tard.

Nous prenions de la hauteur et je profitais d’un arrêt inopiné de la remontée mécanique pour ôter une de mes moufles, afin de consulter mes messages. Malgré les protestations de mes amis, il était impossible pour moi de couper totalement les ponts avec le monde connecté, même si dans ces fichues montagnes, le réseau était bien trop souvent capricieux. Coup de bol, cette fois-ci, mes cinq barres s’affichaient allègrement.

Le ton montait chez mes italiens surchauffés, ils commençaient à m’agacer prodigieusement, d’où mon besoin de m’extraire momentanément de l’instant présent afin de vérifier que le monde continuait bien de tourner sans moi, même si j’en doutais fortement.

Le soleil d’hiver était radieux, j’avais presque chaud sous ma doudoune matelassée. J’entrouvrais mon col et dégageais un peu mon cou. L’italienne me regarda juste à ce moment-là et je m’étonnais de son expression furieuse. Pensait-elle que je cherchais à séduire son compagnon ? C’était si ridicule que j’envoyais une œillade suggestive par-dessus mes lunettes de soleil au bel italien tout penaud derrière sa harpie. Le ton entre eux monta encore. Je riais sous cape, ça me donnerait une belle occasion ce soir de caricaturer la situation et d’amuser la galerie lorsque nous serions tous rentrés nous mettre au chaud, dans le chalet somptueux qui accueillait notre petit groupe d’amis. Ça aide, de bosser dans l’immobilier, j’étais toujours la première sur les bons plans.

Mes doigts tout engourdis par le froid et crispés sur mes bâtons, que je craignais de lâcher dans le vide, avaient du mal à attraper correctement mon smartphone, je rajustai ma prise et tentai de cliquer sur l’icône de ma messagerie qui débordait de mails non lus. Trois jours seulement que j’étais partie, j’avais pourtant pris soin de confier mes plus gros dossiers à l’une de mes rares collègues en qui j’avais toute confiance, mais visiblement cela ne suffisait pas. J’étais à la fois agacée et profondément satisfaite de constater ce dont j’étais persuadée depuis toujours : j’étais évidemment indispensable.

Qu’il s’agisse de mon boulot ou de ma famille, partout j’occupais la place centrale, celle qui décidait, qui tranchait, qui mettait l’ambiance, le moteur du groupe, le leader.

C’était mon rôle, d’une évidence telle que jamais je n’avais songé à le remettre en question. Pourquoi l’aurais-je fait, d’ailleurs ?

Jusqu’ici, je m’en sortais plutôt bien. Sous-directrice de la plus grosse agence immobilière de luxe du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, un revenu annuel à six chiffres et un réseau croissant dans le monde des affaires et des propriétés de caractère, j’abordais la trentaine en conquérante.

Mes amis naviguaient plus ou moins tous dans les mêmes sphères, et veillaient à entretenir soigneusement les relations utiles à leur carrière, dont je faisais bien évidemment partie. J’en connaissais certains depuis le collège, ce qui me permettait de préserver un peu d’authenticité dans un monde qui en manquait souvent, ce que je reconnaissais mais dont je me fichais royalement.

Signer des mandats, remporter l’exclusivité sur des biens de prestige, trouver la perle rare, l’immeuble ancien que personne n’avait encore jamais visité, voilà ce qui me faisait me lever le matin.

En parvenant enfin à ouvrir ma boîte mail malgré mes doigts gelés, j’aperçus le nom d’une de mes plus grosses clientes du moment, sur un message encore non lu. Mon cœur accéléra, j’adorais ce petit instant d’incertitude, le suspense qui faisait grimper l’adrénaline. Est-ce qu’elle acceptait enfin mes conditions ? Je n’attendais pas une réponse si rapide de sa part à ce moment-là, j’étais à la fois surprise et impatiente d’ouvrir son message.

Il s’agissait d’une propriété de famille, un mas en pierre de toute beauté au pied des Alpilles, avec une vue magnifique sur le village en surplomb. J’avais eu un coup de cœur en visitant les lieux pour la première fois, ce qui ne m’arrivait pas souvent, tant j’étais habituée aux demeures de luxe. Mais je ne sais pas, au cœur de celle-ci j’avais éprouvé une émotion particulière, un bien-être fugace qui m’avait donné envie d’enlever mes escarpins inconfortables et de me poser là, les pieds dans l’eau claire de la piscine à débordement et le nez dans la lavande.

La propriétaire, une dame d’une cinquantaine d’années qui venait de perdre son père, m’offrit un chocolat chaud et nous restâmes là un moment, sous la pergola, à siroter nos boissons sans un mot. Elle aussi semblait émue, pas pour les mêmes raisons j’imagine. Il s’agissait de sa maison d’enfance, le patriarche avait disparu, il fallait vendre pour payer les droits de succession. Une histoire classique. Pourtant, je sentais qu’elle ne me disait pas tout. L’espace d’un instant, le temps s’était arrêté et je m’étais dit que si nous avions été amies, elle se serait confiée à moi précisément à ce moment-là.

Mais je n’étais que l’agent immobilier qui souhaitait vendre au mieux pour que tout le monde gagne un maximum d’argent, elle y compris.

Cette parenthèse envolée, j’avais repris mes esprits en lui assurant que nous avions un gros client qui recherchait exactement ce genre de bien, à condition qu’elle nous en garantisse l’exclusivité. Ce mandat spécifique était essentiel dans l’immobilier de prestige, c’était pourquoi j’attendais son accord impatiemment. Elle m’avait demandé un délai de réflexion d’une dizaine de jours avant de nous faire confiance, or nous étions à moins d’une semaine. Peut-être avait-elle besoin d’une précision supplémentaire ?

Allons bon, voilà que les italiens se faisaient la gueule maintenant. Silence polaire sur le télésiège, qui tardait à repartir. Nous nous balancions au ralenti, à une vingtaine de mètres au-dessus du vide. Je jetai un œil en bas, parcourue d’un léger frisson. Il ne fallait pas tomber maintenant, nous n’étions même pas au-dessus d’une piste. Quelques rares sapins pointaient leurs tristes branches noires sous d’épais paquets de neige fraîche, résistant tant bien que mal à la forte pente, parsemée de roches qui affleuraient à peine à la surface d’une croûte blanche scintillant au soleil. Je plissais les yeux malgré mes lunettes noires, la lumière éblouissante réfléchie cent fois par toute cette neige environnante me donnait le tournis.

Quand même, c’était bien long cette panne. Je tendais le cou pour tenter d’apercevoir Seb et Léa à deux rangées de sièges devant moi, mais ils avaient disparu derrière le sommet franchi. Je me retournais vers la vallée, la cabine de départ était si loin que je ne l’apercevais même plus. Les skieurs stoïques prisonniers de la machine infernale bavardaient gaiement ou bien rêvassaient en espérant des chutes sur la piste voisine, les enfants riaient, un petit malin entonna le refrain de l’Étoile des neiges, pays merveilleux… bientôt repris par la quasi-totalité des passagers, sauf les italiens bien entendu, qui me regardèrent d’un air surpris, comme si j’étais responsable de tout ce bazar.

Mon portable vibra au creux de ma paume. Encore un nouveau message, de l’agence cette fois-ci. Je leur avais pourtant demandé de ne me déranger qu’en cas de force majeure.

Je laissais le délicieux frisson du suspense monter en moi. J’avais beau passer de super vacances, je devais reconnaître que par moments, je m’ennuyais. Lorsque les conversations devenaient creuses, que la soirée s’étirait, ou comme maintenant par exemple, sur ce télésiège dont la panne s’éternisait…

J’avais beaucoup de mal en règle générale à ne rien faire, à ne pas remplir ma vie d’urgences à traiter, de gens à rappeler, de missions indispensables à réaliser et de notifications en tous genres à consulter au plus vite. Mon smartphone, ma tablette et mon ordinateur me sauvaient la vie tous les jours et me préservaient de l’angoisse du désœuvrement.

Pour ce séjour prévu de longue date, j’avais promis à ma petite sœur, qui m’accompagnait pour la première fois, de n’emmener aucun outil de travail, mis à part mon téléphone. Ce n’était pas moi qui conduisais à l’aller, et dès le premier péage passé, j’ai ressenti un vide. Je consultais frénétiquement mon téléphone, espérant le message urgent qui m’obligerait à faire halte pour passer un coup de fil, voire presque à faire demi-tour…

Valentine se moquait de moi bien sûr, mais en attendant je gagnais dix fois mieux ma vie qu’elle, ou presque. Elle était auxiliaire de puériculture dans une crèche, je la plaignais alors de tout mon cœur. Torcher des gamins à longueur de journée pour gagner une misère, non merci. Elle me rétorquait qu’elle avait des projets, qu’elle voulait passer son diplôme d’infirmière pour monter sa propre structure, qu’elle se sentait à sa place au milieu des enfants… Ça me rendait dingue. Je lui avais déjà proposé cent fois de lâcher ce boulot épuisant pour me rejoindre à l’agence, en quelques mois je l’aurais formée, j’étais sûre qu’elle aurait fait une excellente conseillère.

Elle était douce et persuasive, fine psychologue, c’étaient des qualités redoutables dans ma branche. Mais non. Mademoiselle s’obstinait dans son projet de super nounou, j’ai fini par renoncer. Je voyais bien dans l’œil de mes amis le désintérêt total s’installer lorsqu’elle leur annonçait ce qu’elle faisait dans la vie ; au mieux ils embrayaient sur leurs propres déboires à propos de la garde de leurs enfants, au pire ils changeaient rapidement de sujet après une petite moue condescendante.

Ça me faisait toujours mal, même si je ne le montrais pas. Parce que moi, je savais à quel point ma sœur était quelqu’un de formidable.

2

– Putain, tu vas avancer, ouais ? Allez, sa mère, c’est pas vrai, j’vais encore arriver en retard…

Samia klaxonna avec virulence. C’était sa deuxième semaine à la crèche, elle était encore en période d’essai, et voilà deux jours consécutifs qu’elle se faisait avoir par les bouchons. Elle pesta de plus belle.

– Mais c’est pas vrai, dégage de là, allez ! J’en ai rien à faire de tes livraisons, moi aussi je dois bosser ! Bouffon, va !

Impassible, l’homme en bleu de travail continua ses allées et venues entre sa camionnette et l’arrière-cuisine du restaurant où il déchargeait ses caisses.

Il ne regarda Samia qu’au moment de remonter dans son véhicule et lui adressa un magnifique doigt d’honneur. La jeune femme s’aperçut alors que sa vitre côté passager était restée grande ouverte.  

– Tant pis, maugréa-t-elle entre ses dents. T’avais qu’à te dépêcher. Pff…

Cette place en crèche était inespérée, il fallait absolument qu’elle la garde. Ça faisait au moins trois ans qu’elle galérait à faire l’auxiliaire de vie chez des personnes âgées complètement dépendantes, elle se cassait le dos et le moral, sans parler des familles ingrates et toujours plus exigeantes qui la prenaient toutes pour une simple femme de ménage.

Sa dernière expérience avait été la fois de trop. Elle devait s’occuper d’un monsieur de quatre-vingt-deux ans atteint d’Alzheimer, ou de démence sénile, elle ne savait pas trop, mais qui avait complètement perdu la boule. Elle passait son temps à le récupérer chez les voisins, dans la rue, une fois même il avait réussi à échapper complètement à sa vigilance à cause de toutes les tâches ménagères qu’elle devait accomplir, sa famille avait dû le récupérer au poste de police.

Le savon qu’elle avait pris suite à cet incident l’avait atteinte profondément. Elle s’était sentie nulle, pas même capable d’accomplir un travail si simple qu’il ne nécessitait même pas de qualification. Tout comme sa place en crèche d’ailleurs, grâce au manque de personnel ils embauchaient maintenant des jeunes sans aucun diplôme particulier, sous réserve de les former eux-mêmes.

Samia rêvait d’un tel apprentissage depuis qu’elle avait dû abandonner le lycée, à cause de son père qui voulait l’emmener au bled pour la marier de force avec un de ses cousins. Elle avait eu vent de l’histoire grâce à l’indiscrétion d’une tante et s’était enfuie de chez elle, se faisant héberger à droite à gauche par des connaissances plus ou moins fiables. Ses parents avaient eu tellement honte qu’ils n’avaient jamais osé faire appel à la police.

Deux ans plus tard, elle avait atteint sa majorité et la liberté de faire ce qu’elle voulait. Durant les années suivantes, elle avait accompli plus de jobs que d’autres n’en feraient jamais en une seule vie. Distributrice de prospectus, serveuse, nounou, manutentionnaire, vendeuse, danseuse de cabaret, elle avait tout fait. Jusqu’à ce qu’elle découvre le service à la personne et tout ce qu’il impliquait derrière.

Samia, c’était une grande gueule et elle le savait. Mais malgré la dureté de la tâche, ses petits vieux le lui rendaient bien. C’étaient les familles qu’elle ne supportait plus, leurs exigences, leurs regards en biais lorsqu’elle se présentait pour la première fois. « Ah, c’est vous la nouvelle auxiliaire ?» Elle avait envie de répondre, ouais c’est moi la rebeu du coin, ça te pose un problème ?  Mais elle ravalait sa langue à chaque fois, il fallait bien bosser, non ?

Quand elle était petite, Samia c’était la boss du quartier, la chef de bande. Fallait pas la chercher. Et dans les cités, ça arrivait souvent. « Ta fille est une rebelle, grondaient les autres mères à l’intention de la sienne, tu devrais la garder chez toi, elle a une mauvaise influence sur nos filles ! »

Lorsque Samia avait été réglée pour la première fois, elle avait été la seule de son immeuble à refuser de porter le voile. Jeans, sweat ample et crinière au vent, elle errait dans les rues, prête à en découdre avec celui qui s’aviserait de vouloir lui passer la corde au cou. « Son père a réagi trop tard, marmonnaient les grincheuses, il aurait dû la renvoyer au bled quand elle était petite, c’est de la mauvaise graine, ça ! »

Oui, son père avait trop attendu, Samia était le fruit tombé bien loin de l’arbre. Pour rien au monde elle ne voulait ressembler à sa mère, dont elle fuyait autant les conseils que les réprimandes. Lorsqu’elle la voyait trimer pour ses frères et son père, s’effacer devant eux, rester coincée dans ce vieil appartement qui puait la graisse rance, à concocter toute la journée des plats marocains sans jamais recevoir aucun merci, aucun signe d’une quelconque reconnaissance, elle voulait lui crier de réagir, de ne plus se laisser faire, de s’enfuir même, pourquoi pas ? Mais c’était impossible. Sa mère aurait été scandalisée par de telles suggestions, elle la voyait comme une mauvaise fille et se demandait quelle faute elle pouvait bien avoir commise pour mériter une telle honte sur sa famille…

Mais épouser un vieil arabe inconnu, vivre cette vie ! Samia en avait des haut-le-cœur. Ce fut un sursaut de désespoir qui lui donna la force de s’échapper, tel un animal pris au piège. En s’enfuyant ainsi, elle avait sacrifié sa jeunesse, ses études ; tout ce qu’elle savait maintenant était ce qu’elle avait appris sur le tas, à force d’observation et de volonté.

Alors, pour une fois qu’on lui servait sur un plateau une vraie formation de cent vingt heures pour une qualification officielle, quelle fierté ! Jamais elle ne renoncerait à une telle opportunité.

Si elle avait pu rouler sur le toit des voitures pour arriver à l’heure, elle l’aurait fait. Mais elle avait beau prendre de l’avance, ces sacrés travaux changeaient tout le temps d’emplacement, elle se faisait avoir à chaque fois.

Cela faisait des années qu’elle n’avait plus de nouvelles de ses parents. Au début, elle s’arrangeait pour croiser une cousine, une tante, des voisins, qui lui confirmaient que tout allait bien dans sa famille. Mais la réciproque ne se produisant pas, elle en avait déduit qu’elle n’existait plus pour eux et avait décidé de faire sa vie toute seule, comme s’ils n’avaient jamais existé.

Elle n’était pas dupe, au fond d’elle-même vivait toujours une petite fille abandonnée, mais elle avait pris soin de la recouvrir de couches durcies par la souffrance et par le temps, étanches à la pitié et à la commisération. Des couches si solides, si épaisses et protectrices qu’elle se laissait le moins possible atteindre par la souffrance d’autrui. Elle faisait son travail en s’occupant de personnes plus faibles qu’elle, mais elle ne les plaignait pas. Elle avait eu son compte de misères, elle aussi. Chacun sa croix.

Lorsqu’elle arriva à la crèche des Lutins à quatorze heures pile, elle soupira d’aise en enfilant ses crocs. Elle avait foncé sur la voie rapide, enfin libre de toute circulation, et regagné les précieuses minutes perdues. Demain, je pars avec une heure d’avance, décida-t-elle.

– Bonjour Samia, lui lança la puéricultrice. Tu es chez les petits aujourd’hui, avec Angélique et Stéphanie.

– D’accord, patronne.

– Et arrête de m’appeler patronne, s’il te plaît.

– OK patr… heu, mais comment je vous appelle alors ?

– Par mon prénom, comme tout le monde ici !

– …

– Tu ne sais pas comment je m’appelle ?

– Franchement, vous êtes combien ? J’vois des nouvelles têtes tous les jours, sans blague.

– Je m’appelle Aurélie, soupira l’infirmière.

– C’est vous qui allez me former ?

– Je ne sais pas encore. Les filles t’attendent, tu devrais y aller, avec les congés en ce moment, c’est compliqué.

Samia haussa les épaules et se dirigea vers la section des tout-petits. Son franc-parler ne plaisait pas ici, elle le sentait. Pas besoin d’avoir fait des études supérieures pour savoir si une atmosphère était bienveillante ou non.

Elle était passée par tant d’endroits, avait rencontré tant de personnes différentes issues de milieux les plus divers, qu’il lui suffisait de humer le vent pour savoir si elle était la bienvenue ou pas. Et ici, ce n’était pas gagné. Son retard de la veille lui avait été durement reproché, pourtant il ne s’agissait que de dix petites minutes dûment justifiées, une autre employée ayant pris la même route qu’elle avait aussi été retardée. Mais les regards en avaient dit long. « Elle est à l’essai, sans qualifications et même pas foutue d’arriver à l’heure, pour qui elle se prend la nouvelle ? »

Samia sentait gronder en elle le vent de la révolte. Allez ma vieille, calme-toi. Elle avait beau se morigéner, ses vieilles rancunes remontaient vite à la surface de sa peau d’écorchée vive.

La seule qui avait vraiment été sympa avec elle était partie dès le lendemain aux sports d’hiver, dommage. Celle-là, Samia n’avait pas oublié son prénom. Valentine l’avait accueillie avec simplicité et gentillesse, comme si elle faisait déjà partie de la maison. Elle lui avait montré les locaux et expliqué grossièrement le fonctionnement de la structure en lui promettant que l’on ne la laisserait jamais toute seule jusqu’à ce qu’elle soit formée. Et puis surtout, elle l’avait présentée à chaque personne croisée comme si elle était une personne importante, et tout le monde l’avait saluée en retour. Samia n’était pas habituée à tant de considérations. Malgré sa carapace, elle en avait été touchée.

Mais Valentine s’était éclipsée et toutes ces pimbêches hypocrites lui faisaient bien sentir tous les jours qu’elle était un boulet, une fille des cités qui ne savait rien et dont il fallait se méfier tant que sa période d’essai n’était pas achevée. Samia avait surpris une conversation dans les vestiaires entre deux auxiliaires de puériculture, outrées que l’on donne à « une fille comme ça » les mêmes prérogatives qu’à celles qui étaient vraiment diplômées, comme elles, sous prétexte qu’elle allait avoir sur le terrain une petite formation de rien du tout. Ça les dévaluait, elles en voulaient à Samia qui incarnait leur fonction au rabais.

La jeune femme s’était retenue de toutes ses forces de ne pas leur voler dans les plumes. Elle se sentait à la fois furieuse et terriblement déçue face au rejet de celles qu’elle prenait déjà pour ses futures collègues.

Marquée du sceau de l’infâmie, est-ce qu’elle sortirait un jour de l’ornière des sans diplômes, sans famille, sans valeur ?

Est-ce qu’elle serait obligée toute sa vie de marquer son territoire avec les dents pour espérer se faire respecter un jour ?

3

Je finissais presque par m’habituer au silence ouaté des hauteurs enneigées, lorsqu’un vrombissement annonça le redémarrage du télésiège. Quelques hourras retentirent, les italiens recommencèrent à se disputer.

Je me décidai enfin à cliquer de mon index gelé sur le message de Madame Chantal Godefroy. Instantanément, je me retrouvai propulsée dans un autre monde. Un monde où tout allait vite, où le temps valait de l’argent, un monde de compétition où il fallait réfléchir vite et bien, plus vite que la concurrence en tous cas, et savoir s’adapter en toutes circonstances à la demande du client.

Séduire, convaincre, soudoyer, intimider, tous les moyens étaient bons pour parvenir à nos fins, chaque agent privilégiant le sien en fonction de son tempérament. De mon côté, je faisais résolument partie de la team des vainqueurs, la défaite n’était pas envisageable et je ne renonçais jamais à l’obtention d’un nouveau contrat tant que le client ne m’avait pas formellement éliminée, ce qui arrivait plutôt rarement.

C’est pourquoi le message bref et très clair de Mme Godefroy me prit de court.

« Bonjour,

Je vous remercie pour votre intervention au mas mais je préfère ne pas donner suite.

Bonne continuation,

Chantal Godefroy »

Zut ! Et triple zut… Sous l’effet de la surprise, mes doigts gourds avaient imperceptiblement desserré leur étreinte sur mon portable, qui glissa sur la matière synthétique de ma combinaison de ski et passa sous la barre de sécurité pour filer entre mes cuisses, que je serrais convulsivement afin de l’empêcher de tomber.

Mon téléphone, c’était ma vie. Il contenait tous mes contacts professionnels, mes photos, les messages précieux de mes proches et de mes clients, ma connexion aux réseaux sociaux, tous mes mots de passe, mes références bancaires, les applis médicales sur lesquelles je notais soigneusement mon poids, mon cycle menstruel et mes heures de sommeil… Il me servait de boussole, c’était mon fil conducteur, mon doudou, une extension de moi-même. Il ne me quittait jamais, le jour, la nuit, aux toilettes, dans mon bain, en toutes circonstances, c’était à la fois mon outil de travail, mon lien avec le monde et mon antidépresseur ; les notifications en tous genres rythmaient mes journées, mes nuits, mon existence toute entière.

Je le sentais avec angoisse progresser entre mes cuisses pourtant fermement serrées, mais l’épais vêtement de ski ne me permettait pas de le localiser complètement, si j’entrouvrais les jambes il allait tomber dans le vide, il fallait tenir jusqu’à l’arrivée pour espérer le récupérer.

Nous étions presque au niveau d’un pylône lorsque le télésiège repartit franchement, ce qui provoqua un soubresaut de notre siège, qui se balança d’avant en arrière avant de franchir les rouages du câble aérien dans un vrombissement saccadé. L’italienne poussa un petit cri de frayeur, et je sentis avec horreur mon téléphone glisser comme un petit poisson chaud entre mes jambes.

Oh, il tuo telefono !

Son compagnon pointa du doigt le trait étincelant de mon portable qui chutait dans le vide. Je poussai un non ! désespéré et me retournai frénétiquement sur mon siège pour repérer le minuscule point noir dans la neige, vingt mètres plus bas, qui s’éloignait de seconde en seconde.

Je tentai d’oublier la panique qui gagnait mon cœur et me concentrai sur son emplacement. Entre un rocher et un sapin dégarni, juste après une grosse plaque de verglas… Je décidai de compter les pylônes qui nous séparaient de l’arrivée, et d’ignorer le demi-sourire satisfait de cette saleté d’italienne, qui tenait là une belle revanche.

Je ne voyais et ne sentais plus rien ; ni la beauté des cimes enneigées qui me transportaient la minute d’avant, ni la blancheur scintillante des pistes voisines, ni la douceur sur mon front des timides rayons d’un soleil de février…

La magie de l’instant s’était envolée. J’avais perdu mon téléphone et plus rien ne comptait. Je devais le récupérer, quoi qu’il arrive.

À l’arrivée, je bondis de mon siège et m’élançai vers la gauche, à l’opposé de Seb et Léa qui levèrent leurs bâtons de ski en me faisant signe de les rejoindre. Je les ignorai et scrutai la piste en calculant le moyen le plus direct pour atteindre la zone où mon portable était tombé. Voyant que je ne bougeais pas, mes amis me rejoignirent en pas de patineur.

Essoufflée, Léa fronça les sourcils.

– Qu’est-ce que tu fabriques ? On avait dit qu’on prenait la rouge, c’est à droite !

– J’ai perdu mon téléphone, je dois aller le récupérer.

– Oh mince ! Tu l’as fait tomber où ?

– Au niveau du sixième pylône en partant d’ici, j’ai pris un repère, ça va aller.

– Tu te fiches de nous ? répondit Seb. Si je compte bien, il est tombé derrière les rochers, dans la montée, c’est carrément inaccessible !

– Je m’en fous ! J’irai à pied s’il le faut, hors de question d’abandonner. J’en ai trop besoin.

– Liz, je suis désolé pour toi, je sais que ça va être compliqué, mais tu dois laisser tomber. C’est beaucoup trop dangereux.

Je ne l’entendais même pas. Une partie de mon cerveau lui donnait raison, j’avais vu de mes propres yeux la pente presque à pic, les rochers, le hors-piste… Mais une voix en moi m’ordonnait d’y aller, je ne pouvais physiquement pas renoncer. Je devais au moins essayer.

D’un mouvement rageur, je les plantai là et descendis la piste qui me paraissait la plus proche du lieu où ce fichu téléphone était tombé. Je comptai les pylônes et m’arrêtai juste avant le sixième, découragée. J’en étais si loin !

Seb avait raison, comment rejoindre cette zone sauvage sans matériel, et surtout sans aucune expérience de la montagne ? Je risquais de provoquer une avalanche, de tomber dans une crevasse, ou encore de dévaler jusqu’à la station sans parvenir à me retenir à quoi que ce soit…

Seb et Léa me suivaient de près.

– Alors, tu vois bien par toi-même que c’est impossible là, non ?

Je restai silencieuse. Est-ce que je mesurais les risques encourus ? À ce moment-là, me rendais-je vraiment compte de ce que je mettais en balance ?

Fermée à tout argumentaire raisonnable et obnubilée par la perte de cette extension indispensable de moi-même, je réfléchissais avant tout à la meilleure façon de rejoindre la zone convoitée. Je décidai de redescendre jusqu’en bas de la piste pour reprendre le même télésiège et étudier à nouveau le terrain. Je n’étais pas habituée à perdre, ni à renoncer au premier obstacle venu. Je prenais tout cela comme un nouveau défi à relever.

Perplexes face à tant d’opiniâtreté, mes amis semblaient partagés entre agacement et colère. Ils m’en voulaient de leur imposer mes quatre volontés, mais je sentais qu’ils respectaient aussi ma force de caractère.

J’avais toujours fonctionné ainsi, en fonceuse, entraînant dans mon sillage les indécis, les défaitistes, les peureux. Je ne les jugeais pas, je me sentais juste différente d’eux. Je ne cherchais pas non plus à les comprendre.

Résignés, Seb et Léa me suivirent jusqu’à la queue du télésiège, qui grossissait de minute en minute. Je ne décrochai pas un mot. Je n’avais même pas eu le temps de répondre à Mme Godefroy ! Si ça se trouvait, elle était déjà en train d’appeler une autre agence et de confier son bien à des incompétents qui lui avaient promis la lune. Je n’envisageais pas qu’elle ait pu renoncer à vendre. Unique héritière, le montant des droits de succession à acquitter était faramineux. Elle m’avait laissé entendre que le mas était le seul bien immobilier du patrimoine de son père, elle n’avait donc pas d’autre choix que de s’en séparer, à moins de disposer de plus d’un demi-million d’euros sur son compte en banque…

Il fallait impérativement que je la joigne, ou ma plus belle commission de l’année allait me passer sous le nez. Je demandai à Léa de me prêter son portable.

– Tu veux appeler qui ? me demanda-t-elle sur un ton suspicieux.

– L’agence. C’est urgent.

– Ils ne peuvent pas se passer de toi, même pendant quelques jours ?

– C’est plutôt elle qui ne peut pas se passer d’eux, ironisa Seb.

J’ignorai leurs clins d’œil moqueurs et composai en vitesse un des seuls numéros que je connaissais par cœur.

– Salut Béa, c’est Liz. Non, ça ne va pas, je viens de perdre mon portable, donc si urgence tu m’appelles sur celui-là, OK ? Envoie-moi le numéro de Mme Godefroy par sms s’il te plaît. Le mas dans les Alpilles. Oui, maintenant !

Je m’impatientai. Notre hôtesse d’accueil était sympa, mais trop longue à la détente. De manière générale, je trouvais toujours les gens d’une lenteur exaspérante.

Je scrutais l’écran en attente de son message, il arriva pile au moment où nous nous installions sur le siège en cuir rembourré qui nous emporta à nouveau vers les sommets. Je tentai d’amadouer Léa pour qu’elle m’autorise à téléphoner pendant la montée, mais elle refusa catégoriquement, ce que je pouvais comprendre. Un seul portable par-dessus bord, c’était nettement suffisant.

– Il est là ! m’exclamai-je comme si j’avais trouvé un trésor.

Mon cœur s’emballait, pour un peu j’aurais bien sauté par-dessus la barre de sécurité. Pragmatique, Seb calculait nos chances de pouvoir le récupérer, mais il arriva aux mêmes conclusions que tout à l’heure.

– Liz, c’est de la folie, tu prendrais bien trop de risques. Regarde, rien que pour rejoindre la zone depuis la piste balisée, tu devrais passer par les rochers à pic, sans matos d’escalade c’est impossible.

Il pointait le gant de sa main gauche d’un air docte, plissant son nez pour faire remonter ses lunettes de soleil qui glissaient à cause de la crème dont il s’était tartiné le visage. Je voyais bien que pour lui, une telle ascension n’était même pas envisageable. J’étais une petite fille capricieuse, qu’il fallait simplement ramener à la raison. En même temps, Seb était le mec raisonnable du groupe, celui qui pesait le pour et le contre entre une salade frisée et une batavia quand on faisait les courses, et Léa se rangeait toujours à son avis. Leur couple était un mystère pour moi ; si sages, posés, ils me faisaient penser à ces animaux qui vivent toute leur vie ensemble sans se poser de questions, comme les castors ou les inséparables.

– Et si je faisais le tour par l’autre côté ? En prenant la rouge et en faisant un petit détour, je peux passer par la forêt et me repérer grâce aux pylônes…

– Ça ne change rien, tu auras la même pente à l’arrivée… Laisse tomber, avec tout le fric que tu gagnes, tu peux quand même te racheter un téléphone, non ?

Je boudais. Ils ne comprenaient rien. Pour eux qui bossaient dans une banque, la même évidemment, une semaine sans portable c’était une simple contrariété, pour moi c’était le monde qui s’écroulait.

Enfin, à ce moment-là c’était encore ainsi que je voyais les choses.

4

– Reviens tout de suite ! Tu vas les réveiller !

– Mais il pleure, je dois le laisser comme ça, tout seul dans son lit ?

– Et alors ? Tu préfères un seul gamin qui braille ou bien dix ?

– Je préfère neuf qui dorment et un dans mes bras.

Sans tenir compte des remontrances de sa collègue encadrante, Samia entra dans le petit dortoir sombre et se faufila jusqu’au lit à barreaux dans lequel s’agitait Marius.

Quand un bébé de quatre mois se mettait à chouiner, ce n’était pas la peine d’avoir un diplôme pour savoir qu’il avait besoin d’être câliné. Mais c’était la pause-café pour les deux auxiliaires, ce moment où elles se racontaient leur vie en évoquant des événements aussi insipides que leur menu du soir ou leur prochaine couleur chez le coiffeur. Alors ce bébé récalcitrant à la sieste les enquiquinait, tout simplement.

Samia n’en revenait pas de la façon dont certaines d’entre elles, pourtant mères de famille, traitaient les gosses ici. Lorsqu’elle habitait encore chez ses parents, elle s’occupait de ses petits frères, de ses neveux et nièces, de ses cousins, des voisins, peu importait leur âge et leurs besoins ; elle s’adaptait et agissait avec eux aussi naturellement que si elle était leur mère à tous, avec justesse et bon sens malgré son jeune âge. Il lui arrivait de les gronder, parfois même de les punir, mais jamais de les négliger ou de leur imposer sa volonté uniquement parce qu’elle était plus âgée qu’eux.

Elle avait trop subi la tyrannie de son propre père pour appliquer à son tour cette détestable loi du plus fort qui sévissait dans la cité où elle vivait. Depuis qu’elle en était partie, elle découvrait néanmoins avec amertume que l’autoritarisme et l’injustice n’avaient pas de frontières, et frappaient sans distinction tous les milieux sociaux, toutes les catégories professionnelles.

La preuve dans cette crèche des Lutins, quelle hypocrisie, songeait-elle. Ils étaient tous à faire des ronds de jambes devant la directrice, mais par derrière c’était encore une fois la loi de la jungle qui s’appliquait…

C’était à qui était la plus maligne pour tirer au flanc sans s’attirer les foudres de ses collègues, qui n’en faisait qu’à sa tête pour choisir sa section, ses dates de vacances, le programme d’activités du jour…

Depuis qu’elle était arrivée, Samia observait cette ronde, notant les forces et les faiblesses de chacune. Ses futures collègues le sentaient, mal à l’aise, et profitaient de chaque occasion pour la rabaisser et se faire mousser, c’était facile avec une fille comme elle, rongée de complexes et dévorée par un sentiment d’imposture qu’elle combattait à coups d’insultes, tous pics dehors.

Elles n’étaient pas toutes désagréables avec elle cependant, dans chaque groupe se trouvait au moins une fille sympa, souvent peu diplômée, et puis il y avait l’exception qui confirmait la règle, comme l’auxiliaire Valentine qui l’avait accueillie, ou encore Mathilde, une éducatrice qui semblait s’intéresser sincèrement au parcours de Samia et qui lui donnait chaque jour de nouvelles astuces pour s’occuper au mieux des enfants.

En l’occurrence, Mathilde ne lui avait jamais conseillé de laisser pleurer un bébé pendant l’heure de la sieste, sous prétexte qu’il fallait le réguler et que l’on n’avait pas le choix. 

Bravant les réprimandes, Samia se pencha sur le petit lit de Marius et ramena le bébé tout contre elle ; il se calma aussitôt. « Tu vas te faire bouffer toi », ricanèrent les deux collègues depuis la porte ouverte sur la petite cour, cigarette au bec et gobelet fumant de café à la main.

Bande de nazes, grommela-t-elle pour elle-même, étouffez-vous avec vos clopes, c’est moi qui vais vous bouffer toutes crues. Elles connaissent pas leur chance, ces dindes, d’avoir un CDI et un diplôme d’état.

Comme s’il allait se rendormir, le pépère ! Hein mon coquin, t’es une petite canaille toi, j’t’ai à l’œil mon bonhomme, ouais c’est ça fais-moi du charme maintenant avec tes fossettes et tes grands yeux, t’as de la chance, t’es drôlement mignon, chuis obligée de m’occuper de toi maintenant, alors tiens-toi à carreaux, hein ?

Lorsque la mère de Marius vint le chercher, elle le trouva particulièrement calme et souriant. Il avait passé la moitié de la journée dans les bras de Samia et portait encore sur lui son odeur de vanille. Ravie, la jeune maman la remercia chaleureusement. Ce fut une belle victoire pour Samia, avide d’une reconnaissance qui n’allait manifestement pas venir de ses pairs, et cela la conforta dans l’idée qu’il valait parfois mieux écouter son instinct que de vouloir plaire à ses semblables à tout prix. Elle allait toutefois apprendre à ses dépens qu’il ne s’agissait pas d’une règle absolue.

En rentrant chez elle après la fermeture de la crèche, et passées les remontrances adressées par l’équipe aux parents retardataires, Samia pria pour que sa voiture ne la lâche pas durant le mois qui arrivait, pas avant qu’elle ne touche son premier salaire complet. Elle avait enchaîné de petites missions mal payées ces dernières semaines, et mises bout à bout, les indemnités versées par sa boîte d’intérim devaient à peine couvrir son loyer, pourtant très raisonnable ; certes, elle avait quitté les barres d’immeubles de la cité, mais le quartier dans lequel elle vivait n’était pas particulièrement résidentiel.

Elle habitait un petit logement social au sein d’un immeuble de quatre étages, dont l’escalier puait la pisse de chat et les relents de cuisine bon marché. Mais c’était chez elle, et ça n’avait pas de prix. Elle mettait d’ailleurs un point d’honneur à s’acquitter de son loyer en temps et en heure, quitte à manger des pâtes ou de la semoule durant les jours suivants.

Samia gara sa vieille Clio sur l’emplacement à moitié effacé d’une place réservée aux handicapés, jouant sur le bénéfice du doute. Elle ne se sentait pas concernée, à vrai dire elle n’avait jamais connu personne en situation de grand handicap ; ce qu’elle en savait se résumait essentiellement à la perte d’autonomie liée à l’âge ou à la maladie. Elle ne manquait pas particulièrement de compassion : elle n’y pensait tout simplement pas.

Elle frissonna en sortant de sa voiture, dont le chauffage au moins fonctionnait parfaitement. Resserrant les pans de sa veste bien trop fine pour la saison contre sa poitrine généreuse, elle calcula mentalement la somme dont elle pourrait disposer pour s’acheter un manteau digne de ce nom avant que les soldes de début d’année n’aient épuisé tous les stocks. Samia aimait les beaux vêtements, elle ne pouvait passer devant un magasin Kiabi sans avoir la nausée. Sa mère l’avait tellement traînée là-dedans lorsqu’elle était petite… Alors maintenant qu’elle avait la possibilité de choisir, elle préférait patienter et mettre de l’argent de côté pour s’acheter une belle pièce, plutôt qu’un manteau bon marché quelconque. En attendant, certes elle avait froid, mais avec style. 

– Salut ma belle ! Tu m’oublies pas, hein ?

– Salut Momo, mais non t’inquiète je t’oublie pas … Qu’est-ce que tu fous encore dehors à cette heure-ci, allez rentre chez toi !

Le vieil homme édenté sourit aux anges, Samia l’aidait à se connecter sur WhatsApp pour appeler ses enfants chaque mercredi soir, et nous étions mercredi. Il n’y voyait pas bien clair, lisait approximativement et surtout refusait de comprendre quoi que ce soit à la technologie. Samia le sermonnait pour la forme, mais elle finissait toujours par rire avec ses enfants, qu’elle avait appris à connaître via l’application, se moquant avec eux de leur père.

Durant ces appels vidéo, c’était Adel qui participait le plus. Fils aîné de Momo, il faisait toujours durer la conversation en s’adressant plus particulièrement à Samia, lui demandant des nouvelles de son travail, de ses amis… Elle répondait volontiers. Il avait de beaux yeux noirs Adel, aux cils sombres et recourbés. Et puis sa voix était douce comme du velours, pas comme celle des hommes qu’elle connaissait. Mais ces échanges ne duraient pas, elle n’y arrivait pas. C’était bizarre, cette sorte d’intimité avec un inconnu, un homme qu’elle n’avait jamais rencontré et qui n’était rien pour elle.

Alors elle tournait le téléphone vers Momo, lui demandait d’embrasser ses enfants et s’en retournait dans son petit appartement, dont elle laissait la porte entrouverte pour se sentir moins seule. Elle n’avait pas peur.

Durant deux ans, Samia avait presque vécu dans la rue, alternant entre les locaux associatifs et les haltes de nuit mises à disposition par le Samu social. Elle était connue des équipes de maraude, jusqu’à ce qu’elle trouve enfin un job qui la stabilise suffisamment longtemps pour qu’elle obtienne un bail.

Alors maintenant qu’elle était sédentaire, ce n’était pas quelques voisins bruyants ou même alcoolisés qui allaient l’effrayer, elle en avait vu d’autres. Non, le pire c’était la solitude. Ça vraiment, elle ne s’y faisait pas.

En fuyant ses parents, Samia avait quitté aussi toute une communauté, une vie de groupe au sein de laquelle elle s’était construite ; même dans la rue il existait une forme de solidarité. Alors vivre seule, ne penser qu’à elle, ça lui semblait certains soirs au-dessus de ses forces.

Parfois, elle se faufilait chez ses voisins pour le dernier thé de la journée et faisait semblant de s’endormir sur leur canapé. Elle ne se détendait complètement que lorsqu’elle sentait la chaleur d’un plaid recouvrir ses épaules, posé gentiment sur elle par une grande sœur ou une mère qui ne lui posaient pas de questions. Une fille seule, sans famille, ça n’existait pas. Alors on ne voulait pas savoir, on accueillait, c’était tout.

Et le matin suivant, on lui offrait du pain d’olive, des dattes et un verre de thé bien sucré avant qu’elle ne retourne chez elle prendre une douche et filer à son travail, voir des gens, côtoyer d’autres misères.

Non, Samia n’était vraiment pas faite pour vivre seule.

5

Seb ne changea pas d’avis. Lassé par mon obstination déraisonnable, il me rappela que nous avions rendez-vous à midi pétantes au restaurant d’altitude avec les autres, qui avaient préféré s’octroyer une grasse matinée après notre raclette bien arrosée de la veille, suivie d’une petite soirée dansante improvisée et de quelques joints fumés en douce sur le balcon enneigé de notre beau chalet.

Autant dire qu’il n’y avait eu que le sage couple d’inséparables et moi-même, l’hyperactive de service, pour démarrer envers et contre tout notre journée de ski à l’ouverture des pistes.

Pour une fois, si j’avais su ce qui m’attendait, j’aurais mieux fait de rester au lit.

Le ciel était clair, aucune chute de neige n’était prévue avant la nuit. Je consentis donc à les suivre, tout en élaborant dans ma tête le meilleur plan possible pour aller chercher mon portable ; malgré les arguments pourtant sensés de mes amis, je refusais de lâcher l’affaire. Je projetais d’y retourner toute seule, de laisser mes skis sur la piste balisée et d’y aller à pied en suivant une ligne transversale, perpendiculaire à la pente.

Certes, j’étais d’accord avec Seb, la déclivité était importante. Mais j’étais sportive, j’avais fait de l’escalade en salle quand j’étais ado, et je n’étais pas une froussarde.

Je me demandais vaguement si je cultivais mon intrépidité pour masquer les tocs dont je souffrais, ou à l’inverse si c’étaient mes névroses qui me poussaient à commettre des actes insensés afin de les combattre.

Au fond, je me demandais parfois si quelqu’un sur cette terre me connaissait réellement. Ma petite sœur Valentine, dont je me sentais pourtant proche, ignorait elle aussi qui se cachait derrière l’écran de cette personnalité solaire qui remportait tous les suffrages. Je tenais trop à me voir forte dans ses yeux, comme dans ceux de tous mes proches ; lorsqu’il m’arrivait de flancher, c’était à leur déception que je pensais, et la terreur de me dévoiler à eux comme une fille faible et vulnérable me faisait repousser mes limites toujours plus loin.

Mon corps, pas dupe, m’envoyait parfois des signaux, de plus en plus visibles, de plus en plus puissants, que je m’obstinais à ignorer, pratiquant avec constance une politique de l’autruche que j’imaginais diablement efficace.

C’était aussi pour ces raisons-là que je fuyais la lenteur, la sensation de vide, de solitude, l’inertie. Être toujours en mouvement me permettait de ne pas ressentir à quel point ma vie manquait d’épaisseur. J’esquivais les rares moments de lucidité durant lesquels je reconnaissais avoir besoin d’aide, moi aussi. C’était trop douloureux, trop dangereux surtout. Cela aurait pu mettre en péril la vie rêvée que je m’étais construite, jour après jour, brindille après brindille, comme un oiseau bâtit son nid.

Et puis je m’arrangeais pour que mes bizarreries concordent avec l’énergie qui me caractérisait. Mes proches me taquinaient sur mon obsession de la propreté par exemple, mettant sur le compte de mon perfectionnisme cette rage de ménage qui me faisait briquer mon intérieur en toutes circonstances, y compris dans notre chalet de vacances.

Ce qu’ils ignoraient, c’étaient les convictions absurdes qui accompagnaient mes frénésies de propreté, que je me gardais bien de partager. Reconnaître à voix haute, même pour moi seule, que si je ne passais pas un coup d’éponge six fois au même endroit sur la table, ou bien si j’oubliais une seule petite miette, l’un de nous courrait un grave danger… Non, ça n’était pas envisageable.

C’était mon moi secret, celui que je gardais à l’abri des regards depuis que j’étais toute petite, tout comme je restais persuadée que mes faits et gestes étaient observés par quelqu’un d’invisible, comme une caméra cachée qui surprenait la moindre de mes pensées, une sorte de censeur secret qui n’était autre que moi-même, rigidifiée dans un carcan de convictions qui me faisaient me tenir droite.

Lorsque nous arrivâmes au resto d’altitude, Valentine, Guillaume, Juju et Sarah nous accueillirent avec une ola digne des plus grands stades. On ne passait pas inaperçus ! Ils avaient attaqué l’apéro à grands renforts de bières et de barquettes de frites arrosées de mayonnaise, et se plaignirent du temps que nous avions mis à les rejoindre.

– Demandez à Liz pourquoi on est en retard ! leur répondit Seb en me regardant de travers.

– Oh, ça va… J’ai perdu mon portable sur le télésiège des Marmottes, je voulais essayer d’aller le récupérer, c’est tout.

– Aïe, grimaça Valentine. Tous aux abris, je vous préviens, Liz sans son téléphone c’est le retour du Grinch !

– Sans déconner, il est irrécupérable ? demanda Juju, compatissant.

Lui aussi était accro à son portable.

– Moi je pense qu’il y a une chance, mais selon Seb c’est mort.

– Oublie, confirma-t-il en s’essuyant la bouche après avoir bu une longue gorgée de bière brune. Beaucoup trop dangereux, il est tombé au niveau des rochers.

– L’avantage, c’est qu’on ne te le piquera pas.

– Ah ouais c’est sûr que c’est un super avantage, t’en as d’autres des réflexions aussi intelligentes ?

– Bon sang, elle a raison ta sœur, c’est le réveil du Grinch, allez Liz c’est pas la fin du monde, commandes-en un autre dès aujourd’hui, tu l’auras en rentrant…

Valentine me regarda d’un œil tendre et vaguement inquiet, elle savait que je bouillonnais au fond de moi, me retenant de ne pas tous les envoyer bouler. Elle me tendit son téléphone, un modèle si vieux que je me promis de lui en offrir un nouveau à elle aussi si je ne retrouvais pas le mien.

– Je suis sûre que tu as des coups de fils urgents à passer, t’as qu’à donner mon numéro et le garder, télécharge aussi ton adresse mail si tu veux.

– Et toi, tu n’en as pas besoin ?

– Je l’allume un jour sur deux alors franchement, je pourrais même m’en passer complètement. C’est cadeau !

J’étais incrédule mais au fond, cela ne m’étonnait pas tant que ça. Nous étions si différentes, toutes les deux. Valentine était une rêveuse, une idéaliste. Un peu artiste dans l’âme, toujours à s’inquiéter du bien-être d’autrui, elle en oubliait de construire son propre bonheur, son propre nid. Elle se moquait de mes valeurs concrètes, de mon compte en banque bien garni, mais je constatais qu’elle était heureuse aussi de profiter de ces quelques jours de vacances à la montagne, un séjour qu’elle n’aurait jamais pu s’offrir avec son salaire d’auxiliaire en crèche. Je ne comprenais pas comment elle pouvait prétendre s’épanouir dans ces conditions. Je pensais qu’elle mentait, par fierté, comme je l’aurais fait si j’avais été dans sa situation.

Je composai le numéro de Mme Godefroy et m’éloignai du groupe pour parler au calme. Je revêtis instantanément mon uniforme de sous-directrice intangible et séductrice, comme une seconde peau qui ne m’aurait jamais quittée.

– Madame Godefroy, comment allez-vous ? C’est Liz, de l’agence Taylor & Barnes. J’ai bien reçu votre message, je suis certaine qu’il s’agit d’un malentendu, allons, dites-moi ce qui vous arrive…

Prise de court, la cliente m’annonça qu’elle perdait tous ses repères depuis le décès de son papa, que cette maison de famille était le seul bien qui lui restait de son enfance, et que si elle le vendait maintenant, elle se sentirait dépossédée d’elle-même. Elle avait besoin de vivre dans cet endroit, de s’en imprégner, pour peut-être un jour parvenir à lui dire aurevoir.

Je restai sans voix. Certes, j’avais moi-même été touchée par la quiétude et la majesté du lieu, je comprenais fort bien qu’il puisse représenter une personne qui lui était chère, en l’occurrence son père, et qu’elle ait du mal à s’en détacher, mais de là à se mettre en danger financièrement pour le garder, non je ne comprenais pas.

Je tentai froidement de lui faire entendre raison, lui rappelant le délai de six mois dont elle disposait pour s’acquitter des droits de succession, que passé cette date butoir sans avoir signé de compromis de vente, elle devrait en outre payer des intérêts de retard sur la somme due, qui était déjà astronomique, même en sous-évaluant le mas…

Elle me coupa la parole, me répondant d’une voix lasse, comme elle aurait parlé à un petit enfant incapable de comprendre des choses pourtant simples.

– Je sens bien que ça vous dépasse, mais je ne changerai pas d’avis. Je me débrouillerai, je ferai un emprunt, je louerai ma maison… J’ai besoin de comprendre certaines choses de mon passé, et les réponses se trouvent ici, voyez-vous. Il est temps pour moi de regarder en face l’histoire de ma famille et d’arrêter de répéter indéfiniment les mêmes erreurs.

Je ne comprenais rien à son charabia. Déçue et vexée de ne pas parvenir à la convaincre de revenir sur sa décision, j’abrégeai la conversation et revins m’assoir auprès de mon groupe, la mine sévère.

– Ouh la, les affaires ne reprennent pas comme tu l’espérais, on dirait, me taquina Guillaume.

– Sans blague, comment t’as deviné ? Pff, une vraie conne cette cliente, quand elle se fera saisir par le fisc et qu’on vendra son bien au rabais, faudra pas qu’elle vienne pleurer…

– Allez, bois un coup ma Liz, et oublie un peu tes clients pour une fois ! Profite, si tu en es encore capable.

Cette petite phrase m’avait percutée de plein fouet. Guillaume, c’était mon meilleur ami, mon amant, mon âme sœur. Malgré ce qu’il prétendait, je le soupçonnais d’être amoureux de moi depuis des années, lui qui enchaînait les conquêtes d’un soir sans jamais s’engager, espérant sûrement qu’un jour j’en aurais assez de notre amitié ambiguë ponctuée de soirées sex friend comme on les appelait…

Les soirs de blues, de solitude, les fins de journée moroses, ou tout simplement lorsque cela faisait trop longtemps que l’on était chastes l’un et l’autre, on s’appelait et on se faisait un plateau tapas télé, qui se finissait irrémédiablement par une partie de jambes en l’air torride.

L’alchimie entre nous était électrique, nos peaux s’accordaient à merveille et nous savions parfaitement comment faire grimper l’autre aux rideaux. Avec Guillaume, je n’avais jamais ressenti de limites, ni honte ni dégoût. On se respectait mais on savait aussi écouter nos envies ; lorsque l’excitation prenait le dessus, plus rien ne comptait. Ces soirées étaient comme les soupapes de sécurité de nos quotidiens débordés. Guillaume était urgentiste, soumis à un stress permanent, mais tout comme moi je savais qu’il avait besoin de cette adrénaline pour des raisons obscures.

La seule limite à nos échanges secrets, qui ne l’étaient au fond pour personne, c’était de ne pas tomber amoureux l’un de l’autre. On ne souhaitait ni s’engager, ni perdre notre superbe amitié. Alors nous avions trouvé cette solution bancale, et croyions-nous efficace, de nous confier en toute sincérité sur l’histoire de nos vies, de ne coucher ensemble que lorsque nous étions tous deux célibataires, et de nous soutenir envers et contre tout.

Guillaume était un peu mon alter ego au masculin, solaire, drôle, fort en gueule ; nous n’hésitions pas à reconnaître que nous étions pathétiques l’un et l’autre avec notre phobie de l’engagement et notre obsession pour notre carrière… Mais on se l’avouait seulement lorsque nous n’étions que tous les deux, et dans le même état d’esprit. Alors me balancer ainsi devant tout le monde que j’étais incapable de profiter de la vie m’avait atteinte. Quel message m’envoyait-il ?


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Blog littéraire

Les mystères de Fleat House de Lucinda Riley

Un cosy mystery fort sympathique, pour moi qui n’aime pas les polars sanglants il n’en fallait pas plus!

Lorsque le corps sans vie d’un élève issu du prestigieux établissement scolaire St Stephen dans le Norfolk est découvert, tout le monde pense qu’il s’agit d’un malheureux accident, dû à l’épilepsie dont souffrait le jeune Charlie Cavendish. Mais pour Jazz Junter, la séduisante inspectrice londonienne missionnée sur l’affaire, les choses sont plus compliquées qu’elles en ont l’air.

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Blog littéraire

L’homme des Mille Détours de Agnès Martin-Lugand

Dans la lignée des romans d’Agnès Martin-Lugand, celui-ci nous plonge rapidement au cœur d’émotions fortes, voire exacerbées, où il est question de liens du sang, de filiation, d’amour, de manque…

Gary est un plongeur professionnel de quarante-cinq ans, nomade et divorcé, sans enfants. Il mène la vie dont aurait rêvé Yvan, cet ami écorché vif qui tient un bar sur l’île de la Réunion, où ils se rencontrent. Lorsque Gary décide de rentrer en métropole et de se poser, Yvan lui confie une mission bien particulière.

En parallèle, nous découvrons Erin et ses trois enfants. Maman solo depuis que son mari l’a quittée il y a sept ans, sans plus jamais donner de ses nouvelles, elle commence tout juste à se remettre du chagrin immense que cette perte lui a causée lorsqu’elle rencontre Gary, en mission à St-Malo.

Je n’en dirai pas plus, mais les coïncidences sont assez énormes, tout de même, pour que fonctionne l’ensemble…

La lecture est agréable, le tout fonctionne presque comme un thriller psychologique, mais pour moi les personnages – extrêmes dans leurs ressentis, admirables ou détestables – manquent un peu de nuance, et tout comme pour les coïncidences, la crédibilité de l’histoire s’en trouve affectée.

Cela ne m’a pas empêchée de passer un bon moment, et si vous aimez cette auteure et ce genre de littérature, foncez !

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La liste de mes envies de Grégoire Delacourt

Je n’avais pas encore lu ce court livre, pourtant un grand succès de Grégoire Delacourt, que j’apprécie beaucoup… C’est chose faite, et je ne le regrette pas!

Jocelyne est une femme sans histoires, épouse et mère de deux enfants, propriétaire d’une petite mercerie à Arras, et blogueuse à succès auprès des amatrices de couture. Son époux s’appelle Jocelyn, heureux ou plutôt malheureux hasard lorsqu’on lit la suite de l’histoire.

Le fameux rêve de gagner des millions d’euros au Loto, Jocelyne le réalise. Du jour au lendemain, ses rêves et ses désirs les plus fous sont là, à portée de main, plus exactement à portée de chèque, car elle n’a toujours pas encaissé les dix-huit millions d’euros qui lui ont été remis dans le plus grand secret par la Française des Jeux. Elle n’a rien dit à personne, pas même et surtout pas à son mari. Rapidement, on comprend que Jocelyne a peur. Peur du changement, peur de ne plus être aimée pour ce qu’elle est, peur de perdre tout ce qui fait sa vie et qu’elle a patiemment construit, année après année. Un renversement des valeurs qui tiennent sa famille debout, en quelque sorte.

Pour ceux qui n’auraient pas lu le livre ni vu le film, je ne peux en dire plus sans spoiler la fin! Mais sachez que Grégoire Delacourt n’a pas son pareil pour décrypter les émotions féminines et se mettre dans la peau d’une femme qui, après avoir subi durant toute sa vie les désirs d’un homme, réalise une mue dont on ne sait si elle lui permettra d’être heureuse ou non. On le lui souhaite, en tous cas.

Un petit regret pour ma part : l’héroïne est un peu trop décrite comme une femme simple et soumise, peu cultivée, peu armée pour tout ce qui lui arrive, ce qui contraste avec ses réflexions personnelles et le succès qu’elle rencontre avec son blog.

Mais cela ne m’a pas empêchée de dévorer ce livre, car d’une part j’aime beaucoup la plume de cet auteur, d’autre part on s’est tous posés au moins une fois la question dans notre vie : et si je gagnais autant d’argent d’un seul coup, qu’est-ce que je ferais? Vertigineux…

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La fille de l’ogre de Catherine Bardon

Une biographie intéressante et très bien documentée de Flor de Ojo – Fleur d’Or -, la fille aînée de l’ogre des Caraïbes, autrement dit le général Rafael Trujillo, président dictateur de la République dominicaine depuis son coup d’état en 1930 jusqu’à son assassinat en 1961.

Dès sa plus tendre enfance, Flor est soumise aux volontés parfois cruelles de son père, surnommé T dans tout le livre, comme celle de la séparer de sa mère à l’âge de neuf ans pour l’envoyer en pensionnat à Paris, seule, bien loin de son île adorée.

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Pas pleurer, de Lydie Salvayre

À la fois roman historique et biographie, ce livre alterne entre la voix de Montsé, la mère de l’auteure, et celle de Bernanos, écrivain français révolté par la guerre d’Espagne et les exactions franquistes.

Montsé a 90 ans et des troubles de la mémoire qui lui font occulter tous les événements marquants de sa vie, sauf ceux qu’elle a vécus entre 1936 et 1939, qui furent à la fois les plus beaux et les pires de son existence. Tout en reprenant son phrasé particulier et souvent aléatoire, comme un genre de mixage entre deux cultures, française et espagnole, Lydie Salvayre tente de retranscrire l’histoire de sa mère, sans trahir ses souvenirs, ni transformer l’Histoire, celle avec un grand H.

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Pour l’amour d’Éléonore

Pour l’amour d’Éléonore est la version intégrale de la série L’étoile du nord Tomes 1 & 2, disponible en format ebook et papier, exclusivement sur Amazon


Éléonore rêve depuis toujours d’être danseuse étoile. Mais peut-être a-t-elle tout simplement intériorisé les espoirs de sa mère, bercée depuis sa plus tendre enfance par le destin mystérieux de sa grand-mère Élisabeth, qui fût une célèbre danseuse du Bolchoï.
La découverte des carnets de cette illustre aïeule permettra à Éléonore d’en savoir un peu plus.
Ses fiançailles avec Julien, son mentor à l’Opéra de Paris depuis toujours, seront pour elle l’occasion d’effectuer un fabuleux voyage à bord de l’Orient Express, et surtout de rencontrer Charles, un jeune homme atypique et singulier, terriblement attachant.
Plus rien ne sera désormais pareil. Éléonore remet alors tout en question, la danse, sa nomination d’étoile, ses propres aspirations, d’autant plus que surgissent du passé des menaces terrifiantes.
Lorsqu’elle découvrira quel a réellement été le destin de son arrière-grand-mère, sera-t-il encore temps pour elle de s’affranchir du sien ?

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Un amour infini

Un amour infini est la version intégrale de la trilogie À faire voler nos âmes (tome 1), Et entendre ton rire (tome 2), Et regarder la vie (tome 3), disponible en format ebook et papier sur Amazon exclusivement.


Clémence et Julia sont infirmières en pédiatrie. Elles deviennent amies malgré leur tempérament que tout oppose. L’une refuse de s’engager dans une relation sentimentale, tandis que l’autre désespère de devenir un jour maman.
Pourtant, le destin qui a permis à leurs chemins de se croiser leur apprendra qu’au fond, elles ne sont pas si différentes l’une de l’autre. Les épreuves qu’elles traversent feront voler en éclat toutes leurs certitudes et transformeront à jamais leur vision du monde…
Grâce à des rencontres lumineuses et au soutien de leurs proches, elles surmonteront le pire et tenteront de construire, chacune à leur manière, une famille atypique unie par un amour infini.

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Et regarder la vie – L’avis des lecteurs

On voudrait que ça ne s’arrête pas. Une magnifique fin pour cette saga familiale qui nous fait admirablement ressentir les émotions, les joies, les doutes, les peurs et les douleurs de ses personnages. On est encore une fois happée par les récits de Julia, Clémence, Mathieu, Paul et leurs tribus. Merveilleux ! Publié le 29 mars 2024 par M D’H sur Kobo

TRILOGIE INTEGRALE Lisez-le. Magnifique ! Un grand merci à l’auteure pour ce bijou Publié le 22 mars 2024 par DarkCobalt sur Amazon

TRILOGIE INTEGRALE Un bonheur ce livre. On ouvre ce livre et on ne peut le laisser de côté, tellement différent de ce qu’on trouve actuellement. J’espère que je serai aussi ravi en attaquant un autre livre de cet écrivain. Je m’y attaque à peine Un amour infini fermé. Un grand merci pour ces heures de lecture Publié le 20 mars 2024 par TWEEEDE sur Amazon

Très belle histoire ! trilogie qui fait beaucoup de bien. Publié le 19 mars 2024 par Yveline sur Kobo

TRILOGIE INTEGRALE Une trilogie magnifique. Une histoire sublime. Un dépaysement total. Des personnages très attachants. On se sent un peu orphelin à la fin du roman. A lire absolument. Publié le 11 mars 2024 par Nancy41 sur Amazon

TRILOGIE INTEGRALE Je recommande ce roman riche en sentiments bouleversants, lecture captivante. Publié le 5 mars 2024 par Pietal sur Amazon

TRILOGIE INTEGRALE Whaouuuuuu. Un voyage au bout du monde au travers des vies tellement haletantes de tous les personnages qu’on a du mal à les quitter. Je me sens orpheline à l’instant….j’ai perdu mes amis de ces belles heures de lecture, dépaysement, larmes au bord des yeux, sourires au bord des lèvres, …. Publié le 3 mars 2024 par Muriel sur Amazon

TRILOGIE INTEGRALE Une merveilleuse histoire d’amour qui nous tient en haleine du début à la fin… J’ai adoré, pleuré ces merveilleux moments de vie… ❤️❤️❤️ Publié le 25 février 2024 par Client Kindle sur Amazon

TRILOGIE INTEGRALE C’est un magnifique roman, riche en émotion, écrit avec beaucoup de sensibilité. L’histoire est prenante, avec des rebondissements. L’écriture est délicate et fluide. On se laisse vite « embarquer » par le récit: il y a beaucoup de rythme….beaucoup de joie et d’optimisme aussi….de tendresse féminisme : la souffrance y est décrite avec beaucoup de tact et de finesse. C’est une agréable lecture. Publié le 25 février 2024 par Valentyne7 sur BABELIO

TRILOGIE INTEGRALE Ce roman vous embarque et ne vous lâche pas. Le désir maternel est bien vu avec ses joies ses douleurs et ses surprises. Magnifique roman Publié le 12 février 2024 par Chantal sur Amazon

Magnifique saga qui s’étale sur plusieurs années très belle histoire. Publié le 12 mars 2024 par Yolande sur Kobo

Une pépite . J’ai adoré les 3 tomes. Plein de sensibilité. Publié le 9 mars 2024 par Santi sur Kobo

A lire absolument. J’ai lu la trilogie d une traite … C est une très belle histoire qui nous fait voyager…. je recommande vivement… Publié le 4 mars 2024 par Nathalie sur Kobo

Savoureux. J ai lu les 3 tomes en suivant et c est assez magique. Quelle plume pour raconter la vie ! On a l impression d être à l hôpital puis au Burkina et enfin au mas avec eux… Publié le 15 février 2024 par Marie-Christine sur Kobo

J’ai adoré ce dernier volet de la trilogie et j’attends avec impatience les nouveautés de Victoire Sentenac qui m’a complètement conquise. Publié le 3 février 2024 par Pauline sur Kobo

J’ai beaucoup aimé cette saga. Les personnages sont plein de tendresse malgré leur travers, leur caractère et leur blessure. J’ai vraiment adoré. On est y est tellement bien que l’on n’a pas envie que cela se termine. Publié le 31 janvier 2024 par Odile sur Kobo

Emotion garantie. Publié le 26 janvier 2024 par Gérard sur Kobo

Super lecture. Que dire ? Mis à part que j’ai bien aimé ce livre… Je me suis laissée emporter par les émotions, j’ai vraiment vécu le livre… Je vous conseille vraiment ces trois tomes. Publié le 16 janvier 2024 par Sylvie L. sur Fnac

Top! Le meilleur des 3 tomes. On ne décroche pas du livre dès les premières lignes. Une journée aura suffi pour le lire ! Publié le 3 janvier 2024 par Roma sur Kobo

Félicitations. 3 romans merveilleux . Une fois commencé , il est impossible de s’en détacher. Bravo à Mme Sentenac. Publié le 10 décembre 2023 par Sorensen sur Kobo

De magnifiques histoires de vie ordinaires et extraordinaires qui m’ont emmenée bien loin. Une belle écriture fluide .Un très beau roman. Publié le 30 novembre 2023 par Bracq Bernadette sur Kobo

Une jolie fin. Un plaisir de lire ce 3e tome et de découvrir la suite des personnages. C était top! J ai dévoré les 3 tomes très rapidement. Publié le 16 novembre 2023 par Coralie sur Kobo

Belle prolongation des 2 premiers tomes. J’ai toujours autant aimé Que de belles émotions, même si parfois la colère se fait sentir Une belle histoire de vie, pleine de courage, d’espoir et de ténacité. Publié le 28 octobre 2023 par Catherine R. sur Kobo

Je suis encore sous le charme de cette plume, une auteure à découvrir absolument!
Les pages s’enchaînent presque trop vite tellement on a envie de savoir la suite, il y a du suspense, de l’amour, de l’action, des drames bref je recommande à 100%. Publié le 21 octobre 2023 par Annarose08 sur Amazon

Charmant. J’ai beaucoup aimé ce livre. L’humanité, la gentillesse, et l’acceptation de ces personnages sont merveilleux. Publié le 31 août 2023 par Mamie sur Kobo

Super livre. Une histoire à vous tenir en haleine. Publié le 31 août 2023 par Mamie sur Kobo

Très belle histoire. J’ai adoré…….je recommande vraiment. Publié le 13 août 2023 par Sylvie P. sur Fnac

Ce livre est intéressant pour les émotions vécues par chacun des personnages. C’est fort et tendre à la fois! Publié le 2 août 2023 par Louise Bourque sur Kobo

Super trilogie. Tout y est explore dans ces 3 tomes: les problèmes d adulte ,de couples, les rapports entre parents enfants, l adoption, la mort d un enfant et la reconstruction ,et aussi les coutumes africaines, même si certain passages sont tristes ,il y a toujours une lumière au bout du tunnel. Publié le 29 juin 2023 par Legendre E. sur Kobo

Une pépite. C’est un récit émouvant malgré le contexte dans lequel il se déroule (Covid et guerre au Burkina Faso). Les retrouver tous malgré les épreuves soudés est une fin de saga magnifique. Publié le 22 juillet 2023 par Irène sur Kobo

Ainsi se terminent l’histoire de Clémence, Mathieu et les autres. Et pourquoi pas une suite ? Publié le 13 juin 2023 par Lectrice sur Kobo

Une pépite! Fin d’une trilogie qui traite avec douceur les tabous autour de la maternité. MERCI pour ses romans qui m’ont émus. Publié le 27 mai 2023 par Nathalie sur Kobo

Quelle magnifique saga. J’ai adoré suivre l’histoire de tous ces personnages et leur évolution depuis le premier tome, j’ai dévoré le troisième aussi vite que les deux premiers… à lire absolument. Publié le 16 mai 2023 par Annabelle T. sur Kobo

Magnifique. Merci pour ces 3 tomes bouleversants, doux et époustouflants en même temps ! Publié le 16 avril 2023 par Elodie sur Kobo