L’écriture envoutante de Kessel et sa finesse de suggestion ont produit ce livre troublant et dérangeant sur un thème à l’époque scandaleux : la dissociation entre chair et sentiments, un conflit que selon l’auteur « à quelques rares exceptions près, chaque homme, chaque femme qui aime longtemps, porte en soi. Il est perçu ou non, il déchire ou il sommeille, mais il existe ».
Pierre et Séverine forment un couple charmant ; jeunes, beaux, aisés financièrement, une belle carrière de médecin devant lui pour le mari, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… ou devrait, en tous cas. Car dans l’intimité de leur chambre, on comprend vite que la froideur prude de Séverine blesse Pierre, alors pourtant qu’elle l’aime profondément.
Lorsqu’elle entend pour la première fois parler d’une maison de rendez-vous, Séverine en éprouve un malaise physique et une fascination tels qu’ils créent une brèche en elle. Le besoin impérieux de s’y rendre sera supérieur à tout ce qu’elle a connu précédemment. L’amour et l’admiration qu’elle éprouve pour son mari, le regard de la société, la morale, les lois de la fidélité… rien ne semble avoir prise sur elle. Elle offre alors son corps en secret aux hommes de passage et découvrira l’extase dans les bras d’un des plus rustres d’entre eux.
À partir de là, une tension indicible monte tout le long du livre et atteint son paroxysme lorsque le secret de Séverine menace d’éclater au grand jour.
Caricature ou fait réel, ce roman dramatique même s’il a vieilli ne peut laisser indifférent…
Victoire Sentenac 