Blog littéraire

Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra

Quel beau livre, si bien écrit, enchanteur et tragique à la fois, comme beaucoup de récits mêlant l’orient et l’occident…

C’est l’histoire de Younes, alias Jonas, dans l’Algérie rurale des années trente. Son père vient de perdre sa ferme, son dernier espoir d’être un homme bien, un homme qui prend soin de sa famille. Rejoignant la ville pour ne pas mourir de faim dans une campagne devenue hostile, le père de Younes emmène sa femme et ses enfants se réfugier dans un ghetto d’Oran, où ils ne trouvent que la misère, la crasse et la violence. L’oncle de Younes propose alors de donner sa chance à ce neveu tombé du ciel, lui qui n’a pas d’enfants, et l’intègre à une vie privilégiée en lui permettant de faire des études et de côtoyer une population favorisée. Younes devient Jonas et ses yeux bleus lui permettent de se fondre au sein des riches quartiers occidentaux, même si ses proches savent qu’il est arabe.

La dichotomie existant entre les deux communautés s’exacerbe au fil des années, pour devenir intenable à l’aube des années soixante. D’attentats en attentats, la guerre larvée finit par éclater dans une lutte acharnée et féroce dont Jonas se sent l’otage, lui qui a ses racines dans le sol d’Algérie et le cœur pris en étau entre ses amis occidentaux et un amour de jeunesse dont il ne parvient pas à se libérer.

Ils aiment tous leur patrie et la reconnaissent comme telle, mais la dislocation est irréversible. Ce déchirement originel et irréparable illustre bien des maux dont la société actuelle subit à l’infini les répliques. C’est ce que j’aime dans ces romans si brillants, qui permettent de comprendre en finesse à quel point toutes les histoires personnelles façonnent la grande Histoire et se fondent en elle.

Du grand art !

« S’il n’y avait qu’un seul instant de notre vie à emporter pour le grand voyage, lequel choisir? Au détriment de quoi et de qui? Et surtout, comment se reconnaître au milieu de tant d’ombres, de tant de spectres, de tant de titans?… Qui sommes-nous au juste? Ce que nous avons été ou bien ce que nous aurions aimé être? Le tort que nous avons causé ou bien celui que nous avons subi? Les rendez-vous que nous avons ratés ou les rencontres fortuites qui ont dévié le cours de notre destin? Les coulisses qui nous ont préservés de la vanité ou bien les feux de la rampe qui nous ont servi de bûchers? Nous sommes tout cela en même temps, toute la vie qui a été la nôtre, avec ses hauts et ses bas, ses prouesses et ses vicissitudes; nous sommes aussi l’ensemble des fantômes qui nous hantent… nous sommes plusieurs personnages en un, si convaincants dans les différents rôles que nous avons assumés qu’il nous est impossible de savoir lequel nous avons été vraiment, lequel nous sommes devenus, lequel nous survivra. »

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