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PRIX GONCOURT 2021 La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr

La plus secrète mémoire des hommes

Une écriture indiscutablement magnifique, la quête initiatique d’un écrivain sur les traces d’un aîné mystérieux, une pointe de mystique, un fond historique, un débat passionnant et permanent autour de l’écriture et de son imbrication dans la vie réelle, l’identité des exilés, le colonialisme, les liens complexes entre l’Afrique et l’Occident, l’amour, l’amitié… comment résumer les thèmes multiples de ce roman inclassable et fascinant à tous points de vue ?

Diégane Latyr Faye est un jeune écrivain sénégalais qui découvre à Paris en 2018 un livre mythique, paru en 1938 et intitulé « Le Labyrinthe de l’inhumain ». Son auteur T.C. Elimane, alors qualifié de « Rimbaud nègre » par les critiques de l’époque, a disparu depuis le scandale déclenché par la parution de son texte. La fascination de Diégane est telle qu’il se lance dans une enquête qui nous fera voyager dans l’espace et le temps, et rencontrer des personnes essentielles à la vie du jeune écrivain et à sa compréhension du monde, de la littérature et du sens qu’il veut donner à son existence.

Vous l’aurez compris, ce roman époustouflant m’a énormément plu !

Mais ce sont les citations qui je trouve en parlent le mieux…

« Nous écrivions parce que nous ne savions rien, nous écrivions pour dire que nous ne savions plus ce qu’il fallait faire au monde, sinon écrire, sans espoir mais sans résignation facile, avec obstination et épuisement et joie, dans le seul but de finir le mieux possible, c’est-à-dire les yeux ouverts : tout voir, ne rien rater, ne pas ciller, ne pas s’abriter sous les paupières, courir le risque d’avoir les yeux crevés à force de tout vouloir voir, pas comme voit un témoin ou un prophète, non, mais comme désire voir une sentinelle, la sentinelle seule et tremblante d’une cité misérable et perdue, qui scrute pourtant l’ombre d’où jaillira l’éclair de sa mort et la fin de la cité. »

« C’est ça notre vie : essayer de faire de la littérature, oui, mais aussi en parler, car en parler est aussi la maintenir en vie, et tant qu’elle sera en vie, la nôtre, même inutile, même tragiquement comique et insignifiante, ne sera pas tout à fait perdue. Il faut faire comme si la littérature était la chose la plus importante sur terre ; il se pourrait parfois, rarement mais tout de même, que ce soit le cas et que certains doivent en attester. Nous sommes ces témoins, Faye. »

« Ce qu’on cherche, mon vieux Journal, n’est peut-être jamais la vérité comme révélation, mais la vérité comme possibilité, lueur au fond de la mine où nous creusons depuis toujours sans lampe frontale. Ce que je poursuis, c’est l’intensité d’un rêve, le feu d’une illusion, la passion du possible. Qu’y a-t-il au bout de la mine ? Encore de la mine : la gigantesque muraille de houille, et notre hache, et nos cognées, et notre han. Voilà l’or. »

Je lève les yeux : il n’y a pas d’étoile brillante que je pourrais suivre ; il n’y a qu’un ciel mouvant, parfois orageux, toujours silencieux, qui tourne au-dessus du monde. Les cartes stellaires ne se laissent plus lire : le ciel aussi est un labyrinthe, et il n’est pas moins inhumain que le labyrinthe de la terre. »

« Nous sommes sortis et avons longé le canal, à la surface duquel glissaient les lueurs du nouveau jour, hésitant entre le vermillon et l’argent. J’y lus la promesse d’heures splendides. Nous marchions en silence, cédant, après toute une nuit de parole, à l’appel de notre citadelle intérieure. Quelques étoiles s’attardaient au firmament, comme si elles s’étaient égarées sur le chemin du pèlerinage cosmique. L’espace vide laissé par leurs camarades déjà engagées sur une autre voie de l’infini leur offrait cependant une scène privilégiée. Elles y scintillaient de tous leurs feux avant d’être avalées par le jour. Les astres aussi entonnent leur chant du cygne, que les yeux seuls peuvent entendre. Le monde est vraiment mystérieux, pensais-je alors en regardant le ciel : pour la lumière des étoiles, l’ombre s’incarne dans la lumière du jour. »

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