Blog littéraire

Les os des filles de Line Papin

Les os des filles

Quelle maturité dans ce livre, quel regard…

L’anorexie traitée à travers le prisme de l’exil et de la guerre qui ont marqué l’enfance et la famille de l’auteure, une relation à la mère faite de failles et de manques, pudiquement évoquée… un terreau propice au développement d’une guerre intérieure menée à l’âge de tous les possibles, le meilleur comme le pire.

C’est au Vietnam que nous partons découvrir la terre originelle et la vie de Ba et Trang, les grands-parents de Line. Autobiographique et fort, le texte est émaillé de références historiques, depuis les années 60 pendant la seconde guerre d’Indochine, jusqu’en 2005, date fatidique qui signe le départ d’Hanoï et la perte définitive d’un paradis pour la jeune Line alors âgée de dix ans. En l’absence de mots posés sur ce départ, sur cet arrachement des bras de sa grand-mère bien-aimée et de sa nounou adorée, son enfance a pris fin brutalement. Les trottoirs parisiens sont gris et froids, la nourriture insipide et lourde, les bras de sa mère inexistants. Line est seule. Les arrêts de bus deviennent des bunkers et chaque jour il faut affronter les obus d’un quotidien terne qui la ronge. Où se trouve la frontière entre l’obligation de vivre et le choix de mourir ? Fine comme une lame, comme les os et la silhouette de Line qui disparaît peu à peu du monde des vivants sans le décider tout à fait, elle flirte avec cette limite indicible et joue à cache-cache avec la mort, jusqu’à la résurrection.

Sensible et forte, l’écriture de Line Papin pour aborder ce sujet douloureux m’a conquise par sa sincérité et sa dignité. La guerre, l’exil et la maladie sont des thèmes qui s’imbriquent solidement les uns dans les autres et que l’auteure sublime dans sa quête d’enracinement.

« Peut-être qu’avoir quitté Hanoï à temps fut une manière de garder d’elle un souvenir tellement beau qu’il en devint douloureux. Partir en 2005, c’était comme quitter quelqu’un après dix ans d’amour, alors que tout allait, alors que nous étions heureux. Hanoï est restée telle quelle dans mon cœur, avec son engouement d’après-guerre, d’après l’embargo, d’après la misère et les os, Hanoï est restée notre mère. Nous sommes partis. »

« Les ondes sismiques de ce déménagement brutal et définitif ne se firent ressentir que plus tard, alors qu’elles avaient creusé déjà des failles. La petite fille allait grandir seule. Une guerre, un exil, une crainte empêchent-ils de serrer son enfant dans ses bras ? Je n’ai pas de rancœur, non, pas d’exigence contre ce qui nous est arrivé, mais j’ai de la peine, maman, tellement de peine. Pourquoi a-t-on dû partir et quitter tous ceux qui m’aimaient ? C’est la question que je pose, comme un soupir. J’ai de la peine car ceux qui m’aimaient, je les aimais aussi. Pourquoi a-t-on dû couper, sous le pied de l’amour, toute l’herbe ? »

« Mais déjà quelque chose mourait en elle : la joie. Elle ne comprenait pas, à dix ans, comment ils avaient pu quitter ce paradis pour finir ici, dans le gris. »

« La petite fille est entrée en guerre comme ses aînées, mais elle n’est pas entrée en guerre contre les Japonais, les Français, ni les Américains, elle est entrée en guerre contre elle-même, tout simplement. »

« La petite fille avait quinze ans et cette guerre éclatait : elle était détruite. »

« Elle avait quinze ans, et les bleus en héritage, les os en héritage, la mort en héritage. »

« Dans le plateau qu’elles refusent de terminer, ce n’est pas un plat et un dessert qui sont représentés, c’est la vie et la mort. Il ne s’agit pas de dîner ou de ne pas dîner, il s’agit une question cruciale : vivre ou mourir ? Nourriture ou mort ? »

« Entre les eaux d’où l’on vient et les os qu’on laisse en partant, il y a tant de charges. Rester, parce que l’on est, c’est une chose que l’on a tous compris ; et nous nous tenons, debout, les pieds dans l’eau, les os en haut, droits, verticaux, nous nous tenons debout pour les os qui nous précèdent, pour ceux qui nous succèdent, pour ceux qui nous entourent. Nous sommes là. »

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