
Ce livre singulier publié en 2008 chez Gallimard a obtenu le prix Marguerite-Duras, le prix François-Mauriac de la région Aquitaine, le prix de la langue française et le prix Strega européen. Rien que ça !
Je n’avais encore jamais lu d’œuvre de cette grande auteure et je suis heureuse de l’avoir découverte à travers ces mémoires qui ne sont pas seulement les siennes mais celles de toute une génération. Il s’agit d’une sorte d’autobiographie commune, un long déroulé de tous les âges traversés par une femme née durant la seconde guerre mondiale, vu par le prisme de l’évolution sociétale et des grands événements qui ont jalonné ces années-là, de 1940 à 2008.
Pour ma part il s’agit plutôt de la génération de mes parents et j’y vois un bel éclairage de leurs tendres années, ainsi qu’une plongée dans mes propres souvenirs des années 80 et 90 qui paraissent à la fois si loin et si proches !
À partir de photos d’elle prises à différents âges et époques de sa vie, Annie Ernaux retrace les marqueurs troublants de l’évolution de la société, des mœurs, des codes vestimentaires, mais aussi la politique, le féminisme, la naissance de la société de consommation qu’elle décrit vraiment très bien …
Nous suivons son chemin depuis l’enfance jusqu’à l’adolescence tourmentée, la découverte de la maternité, l’embourgeoisement, la lassitude, les envies de renouveau, et peu importe notre année de naissance chacune (chacun ?) pourra y retrouver un petit peu de son histoire, de son expérience de vie.
C’est ce qui fait l’originalité de ces confessions un peu mélancoliques, impersonnelles et pourtant si touchantes.
« Au sortir de la guerre, dans la table sans fin des jours de fête, au milieu des rires et des exclamations, on prendra bien le temps de mourir, allez ! la mémoire des autres nous plaçait dans le monde. »
« Le progrès était l’horizon des existences. Il signifiait le bien-être, la santé des enfants, les maisons lumineuses et les rues éclairées, le savoir, tout ce qui tournait le dos aux choses noires de la campagne et à la guerre. »
« La distance qui sépare le passé du présent se mesure peut-être à la lumière répandue sur le sol entre les ombres, glissant sur les visages, dessinant les plis d’une robe, à la clarté crépusculaire, quelle que soit l’heure de la pose, d’une photo en noir et blanc. »
« Les parents et les plus de cinquante ans étaient d’un autre temps, y compris dans leur insistance à vouloir comprendre les jeunes. Nous tenions leurs avis et leurs conseils pour pure information. Et l’on ne vieillirait pas. »
« Elle voudrait réunir ces multiples images d’elles, séparées, désaccordées, par le fil d’un récit, celui de son existence, depuis sa naissance pendant la seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Une existence singulière donc mais fondue aussi dans le mouvement d’une génération. »
« Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais. »
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