
La discrète et déchirante douleur d’une mère qui voit son dernier enfant quitter la maison est le thème principal de ce joli récit construit autour de personnages très simples en apparence, et dont on lit entre les lignes que tout ne l’est pas autant que ce que l’on pourrait croire.
L’auteur fait le choix de décrire point par point la banalité d’un quotidien et de petits événements qui ne soulèvent pas les passions. Anne-Marie est une femme de la cinquantaine plutôt terre-à-terre, raisonnable, sans rêves excessifs, heureuse de pouvoir compter sur un mari dont les valeurs correspondent aux siennes.
Leur petit pavillon est modeste mais bien entretenu, les deux aînés ont déjà quitté le nid il y a quelques années, et voilà qu’en ce dimanche morne de fin d’été c’est au tour de Théo de faire ses valises pour aller étudier dans la ville voisine.
Depuis la petite cuisine où elle observe pour la dernière fois son fils beurrer ses tartines en caleçon, jusqu’à sa petite silhouette qui s’éloigne dans le rétroviseur du Kangoo, nous suivons l’installation de Théo comme si on y était. Le départ, la route, les cartons, le petit studio, le repas dans un snack, les adieux dans la rue, le retour dans la maison vide.
La détresse d’Anne-Marie est touchante parce qu’à peine effleurée à travers les descriptions concrètes de tout ce à quoi elle tente de se raccrocher, en vain; sa douleur finit par prendre toute la place et s’insinue en elle jusqu’à ce qu’elle accepte enfin de la regarder en face. Ce n’est pas un deuil bien sûr, c’est presque honteux un tel chagrin pour un enfant qui part à trente kilomètres de chez soi, et pourtant.
La peine qu’elle ressent lui tombe dessus comme un tsunami de douleur. C’est irrationnel, inracontable, mais réel.
Ce vertige de la perte, je l’ai touché du doigt l’année dernière quand mon aîné est parti faire ses études dans la ville voisine… j’ai reconnu les pleurs incontrôlables d’Anne-Marie et cette indicible nostalgie.
Il fallait la plume adroite de Philippe Besson pour retranscrire cette émotion particulière, presque primaire, sans verser dans le pathos. Presque comme un sujet tabou sur lequel il lève le voile avec une grande pudeur. Et beaucoup d’amour.
« Elle le dit à sa façon : on va t’aider à dépaqueter, c’est mieux. Personne n’objecte. On ne va pas contre le chagrin inavouable d’une mère. »
« Anne-Marie savait que ce moment arriverait, elle s’y était préparée mais elle n’était jamais parvenue à l’imaginer, ce n’était jamais concret, circonstancié, tangible, ça restait une idée, l’idée de la séparation, presque une théorie, ça n’avait pas de réalité, et maintenant ça arrive, il y a un endroit, une heure, une couleur de ciel, un parfum, celui abandonné par les pots d’échappement, celui persistant du goudron, et ça se présente comme une dislocation. »
« Il y a ça, d’un coup, dans un été qui s’en va, dans une rue déserte, sur un trottoir balayé par le vent, une mère et son fils, arrimés l’un à l’autre. »
« C’est alors que, sans prévenir, et sans s’y attendre elle-même, Anne-Marie éclate en sanglots. Elle luttait depuis la fin de l’étreinte, depuis la dislocation, elle luttait en silence tout en restant convaincue qu’elle parviendrait à se maîtriser. Elle pleure si peu ; même devant les films, elle ne pleure que rarement. »
« Inévitablement, sa rêvasserie la ramène à Théo, « ton fils », ainsi que le répète Patrick, comme si lui n’avait pas de lien de parenté avec le désigné. Cela dit, elle reconnaît qu’il a toujours été un peu plus son fils à elle. Les mères quelquefois – les mères souvent – ont cette prééminence. Est-ce qu’il faudrait s’en offusquer ? »