Quel livre étrange. La plume de Jean-Paul Dubois ne m’est pas familière, son univers encore moins. J’ai mis du temps à y entrer, à m’imprégner de ses pages au point d’avoir envie de les retrouver entre deux temps de lecture. Cela a fini par venir, mais il m’a fallu attendre la moitié du livre.
Un récit construit sur l’analepse qui permet au lecteur de comprendre en douceur la problématique de Paul Hansen, le personnage principal, en prison depuis deux ans pour un fait que l’on ignore, et l’histoire de ses fantômes. Ses parents y tiennent une place prépondérante, surtout son père, un pasteur danois qui a perdu la foi… Le couple atypique qu’il forme alors avec la mère de Paul – une soixante-huitarde athée reprenant le petit cinéma d’art et d’essai de ses parents – bat de l’aile lorsqu’elle programme des films scandaleux pour les années 70.
Nous apprenons ensuite que Paul est devenu le superintendant d’un immeuble de luxe, aimant profondément réparer les choses et écouter les gens. Ou l’inverse ? 😉
Pour ma part j’ai préféré les passages sur la prison et le présent, et j’aurais aimé que l’auteur les développe un peu plus. Les déboires de Paul Hansen avec Horton, son colocataire de cellule, ne manquent pas de piquant… on a beau savoir que Patrick Horton est un criminel, on attend ses réparties et les mésaventures de son quotidien – qu’il impose à Paul – avec délectation.
L’écriture est précise, riche, les descriptions sont travaillées, et le style tout en retenue, je dirais presque « pudique ». Le lecteur reste libre d’interpréter les émotions des personnages, on aime ou pas… Personnellement cette distance m’incommode un peu, et malgré la qualité du texte je n’ai pas forcément « vibré », tout au moins dans la 1ère partie du livre. J’ai beaucoup plus apprécié la seconde.
Ceci dit, j’en ai encore plus aimé les passages dédiés à une certaine forme de tendresse (au sens noble du terme) envers l’Humain.
Comme quoi, il est bon aussi de sortir parfois de sa zone de confort…
Extraits :
« La prison nous avale, nous digère et, recroquevillés dans son ventre, tapis dans les plis numérotés de ses boyaux, entre deux spasmes gastriques, nous dormons et vivons comme nous le pouvons ».
« Au fil du temps, quand je repense à tout cela, j’en arrive à me dire que ma mère aurait été un père formidable. Elle aurait fait merveille pour nous tracter dans son sillage, nous emporter à toute vitesse à bord de sa petite embarcation apte à semer les ennuis, à se faufiler entre les embûches, à tenir tête aux fâcheux. »
« Je me plaisais à Montréal. C’était une ville oléo-pneumatique, confortable, l’une des rares cités du monde qui donnent le sentiment d’amortir les ressauts ou les chocs de la vie, de pouvoir avaler ou lisser le malheur. Il y avait la montagne, les eaux, les parcs et le bruissement de toute la ruche humaine concourant à une œuvre disparate qui, lentement, le soir se dispersait pour regagner les alvéoles lumineuses de ses grands immeubles. »
« Il y a parfois quelque chose de noble dans la sauvagerie animale d’Horton, quelque chose qui le place au-dessus de ses juges et de ses gardiens, au-dessus de son père qui a passé sa vie à enseigner mais qui n’a rien appris. Au moment où on l’attend le moins et où la situation ne s’y prête guère, il émet un éclair, une fulgurance d’humanité. »