L’autostoppeur n’a pas de prénom. Il se définit par cette identité mouvante, un peu étrange, de celui qui malgré la quarantaine approchante et les exigences d’un foyer serein ne parvient pas à se poser. Il fascine Sacha, son ami de toujours, ancré au contraire dans une existence sédentaire et passive d’écrivain expérimenté, qui lui a renoncé depuis bien longtemps à leurs escapades improvisées d’étudiants fauchés.
Cela faisait vingt ans que Sacha et l’autostoppeur s’étaient perdus de vue.
Troublé par ces retrouvailles inattendues, Sacha découvre Marie, la compagne de l’autostoppeur et mère de leur petit Agustin, et la devine se lasser progressivement des absences sporadiques et imprévisibles de ce dernier, malgré tout l’amour qu’elle éprouve encore pour lui.
Il se laisse attendrir par leur petit garçon, lui qui n’a ni femme ni enfant, et s’immisce en douceur dans leur quotidien.
Lorsque l’autostoppeur prend la route une fois de trop, malgré une conscience aigüe de ce qu’il risque d’y perdre, Sacha et Marie ouvrent une porte sur un autre possible.
D’abord intriguée par l’atmosphère à la fois paisible et dense de ce roman tout en finesse, je me suis totalement laissée prendre au jeu de l’écriture de Sylvain Prudhomme, ses phrases courtes, son absence de ponctuation expressive qui laisse le champ libre au lecteur pour donner aux dialogues l’intensité qu’il souhaite, et ce regard affûté sur la moindre parcelle d’un quotidien ordinaire qu’il sublime par la poésie de ses phrases, tel un photographe parvenant à capturer l’essence d’une beauté invisible aux yeux du commun des mortels.
Vous comprendrez donc que cette lecture m’a charmée, dans tous les sens du terme. Et je salue aussi la recherche du mot juste, le vocabulaire choisi, les descriptions originales qui confèrent tout son sens au prix littéraire reçu, et bien mérité à mon sens.
Extraits :
« Elle continuait de l’aimer. Son mélange de joie et de tristesse à l’arrivée des cartes me le disait. C’était ce qu’elle avait toujours chéri chez lui sans doute : qu’il aille par les routes. Qu’il lui échappe. Simplement, à présent je l’apercevais parfois songeuse, peinée. Peut-être lasse. Jaugeant la mince frontière entre ce qui était beau et ce qui ne l’était plus. Se demandant si cette liberté qui l’avait longtemps séduite n’avait pas pour effet à la longue de détruire la sienne. »
« Il était comme une terminaison de nous-mêmes envoyée à l’aventure, une sonde par laquelle des bouts du monde nous étaient rapportés. Il était notre explorateur. Un compagnon aux fantaisies duquel nous assistions avec tendresse, amusement. Un double fantasque, présence amie que nous savions à la fois lointaine et proche, trop distante pour que nous nous reposions sur lui, suffisamment proche malgré tout pour nous accompagner. Il voyageait pour nous, découvrait pour nous, rencontrait pour nous. Partout où il allait, il glanait. Il était comme un tisserin qui fait son nid de ce qu’il rencontre, mêle feuilles et branches et brindilles et bouts d’étoffe à son ouvrage. Infatigablement, il amassait. »
1 réflexion au sujet de “Par les routes de Sylvain Prudhomme, Gallimard – Prix Fémina 2019”